Facile, rapide et gratuit

Créez votre site maintenant

Je crée mon site
Site gratuit créé sur

    SIHPP                                                                                                        

Normalisation, intégration ou inclusion 

à l’école des enfants du spectre  autistique

Jacques HOCHMANN (Février 2019)

 

 

HISTORIQUE  


- Depuis son individualisation en 1943 par le pédopsychiatre américain, Leo Kanner, la conception de l’autisme infantile précoce a beaucoup évolué. Faute de marqueur biologique spécifique, la définition du trouble repose uniquement sur une constellation de symptômes construite consensuellement par des votes entre professionnels, largement influencés par des groupements de famille ou des promoteurs de méthodes éducatives ou thérapeutiques.  D’abord considérée comme désignant un nombre très limité de cas, la  dénomination d’autisme s’est étendue d’un côté vers des enfants jusque là considérés comme souffrant d’un retard mental majeur du fait de lésions cérébrales authentifiées, de l’autre vers des sujets présentant des difficultés de socialisation, avec une intelligence normale voire supérieure (le syndrome d’Asperger, disparu  des dernières nomenclatures américaines).  Le diagnostic de trouble du spectre autistique (TSA) est aujourd’hui conféré à des populations très hétérogènes auxquelles ne peut être proposée une offre unidimensionnelle. 


- Dans l’immédiat après-guerre, les parents d’enfants dits « inadaptés », avec l’appui de professionnels, ont obtenu la prise en charge par la Sécurité Sociale d’institutions résidentielles ou semi-résidentielles appelées « médico-pédagogiques » puis « médico-éducatives » (IME) parce qu’elles offraient, en un même lieu, des soins, une éducation et une instruction. Le souci commun des familles et des professionnels était alors de protéger des enfants fragiles du contact estimé trop stimulant voire traumatisant avec le milieu normal et de développer, dans un cadre plus apaisant, une éducation spécialisée, adaptée aux compétences des enfants. Lorsque les travaux américains ont commencé à être diffusés en France, les pédo-psychiatres ont individualisé dans l’ensemble des enfants inadaptés, sous le nom de  psychoses infantiles,   des souffrances spécifiques qui nécessitaient une approche particulière mettant davantage l’accent sur les soins, sans négliger pour autant l’éducation et la pédagogie. Cependant, des parents se constituaient en association spécifique pour les enfants ayant des troubles de la personnalité. Ainsi se sont organisés, en France, deux systèmes parallèles, financés tous deux par la Sécurité Sociale : le système sanitaire représenté, pour l’essentiel, par la pédopsychiatrie publique de secteur, le système médico-social quasi exclusivement associatif. Longtemps, l’impossibilité administrative de prescrire pour un enfant donné une double prise en charge a empêché la collaboration et même maintenu une certaine concurrence entre les deux systèmes. 


- Dans les années 1970-1980, à la suite notamment du rapport Lafay, d’autres attentes se sont faites jour, parmi les associations de famille aussi bien que parmi les professionnels. La nécessité de confiner les enfants dits inadaptés dans des milieux protégés a été remise en cause au profit d’une approche nouvelle qui insistait sur les avantages d’une insertion de l’enfant dans des milieux aussi proches que possible de la normale. La critique  générale de la ségrégation sociale opérée par les institutions fonctionnant en milieu fermé a alors conduit à multiplier, sur tout le territoire, des structures ouvertes  de proximité. Les centres médico-psychologiques, les hôpitaux de jour, les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) se sont ainsi substitués progressivement à l’hospitalisation psychiatrique à plein temps, pendant que les services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) venaient compléter l’offre des instituts médico-éducatifs. Un assouplissement des textes administratifs a permis, pour un même enfant,  des complémentarités entre secteur sanitaire et secteur médicosocial. 


- C’est alors que s’est manifesté, chez les parents comme chez les professionnels de l’éducation spécialisée et du soin, un intérêt pour l’insertion en milieu scolaire ordinaire, dit mainstreamen pays anglosaxon. L’Éducation Nationale disposait depuis le début du XXème siècle, dans ses écoles primaires, de « classes de perfectionnement » à effectif réduit, réservées à des enfants en échec scolaire, soit du fait d’une instabilité ou d’une intelligence insuffisamment développée, soit du fait de handicaps sensoriels. Ces classes avaient été complétées, au collège, par des sections d’éducations spécialisées (SES). Les enseignants  recevaient une formation spéciale et certains étaient détachés dans les IME ou dans les services hospitaliers de psychiatrie. Durant  les vingt dernières années du siècle dernier,   une collaboration plus étroite entre les champs sanitaire et médicosocial d’une part, l’Éducation nationale d’autre part, a permis l’ouverture dans des écoles ordinaires (maternelles, primaires et secondaires) de classes spécialisées dans l’accueil des autistes ou la scolarisation dans des classes ordinaires d’enfants du spectre autistique.  Un véritable travail d’équipe en réseau s’est engagé entre enseignants et professionnels du soin et de l’éducation spécialisée.  Les institutions spécialisées se sont ouvertes sur la cité en accompagnant les enfants dans leur insertion sociale et en offrant aux enseignants  une aide dans la compréhension et l’accueil des comportements, souvent anxiogènes, auxquels  ils devaient faire face en recevant des autistes. Il s’y est associé un nécessaire travail de liaison et d’échange avec les familles, soumises non seulement  aux difficultés occasionnées par les comportements troublants de l’enfant, mais aussi aux astreintes imposées par la multiplication des interlocuteurs. Plusieurs expériences de ce type ont, au fil des années, conduit nombre d’autistes à une vie adulte relativement épanouie. Elles sont aujourd’hui menacées de disparition du fait des nouveaux clivages apparus entre les équipes soignantes et éducatives et l’Éducation nationale ainsi que du fait d’une scolarisation généralisée qui, abusant des perspectives ouvertes par la loi, ne tient plus compte des spécificités de chaque cas.


LA LOI DE 2005


La loi du 11 février 2005,  venue sanctionner l’évolution des mentalités, est généreuse dans ses principes, indiscutable dans sa proclamation de l’égalité des droits et des chances et dans la reconnaissance de l’autonomie des personnes handicapées dans l’élaboration de leur projet de vie. Elle a malheureusement servi de justification à certaines familles d’enfants du spectre autistique pour exiger, au nom de leur enfant,  une scolarisation parfois inopportune  dans une classe ordinaire de l’école, substituée souvent à toute autre démarche soignante et éducative coordonnée. Là où un travail d’équipe était de rigueur, règne aujourd’hui de plus en plus souvent une juxtaposition de mesures sans lien les unes avec les autres. L’enfant confié à un(e) auxiliaire de la vie scolaire (AVS), peu ou non formé(e), fréquente l’ école, souvent à temps partiel. Relégué au fond de la classe, il ou elle répète avec son auxiliaire quelques unes des leçons de l’enseignant, lui-même laissé sans aide technique ou théorique et occupé à conduire le reste de sa classe parfois perturbée par le comportement de l’autiste. Dans la semaine, l’enfant fréquente un cabinet d’orthophonie, un autre de psychomotricité, parfois un goupe d’habiletés sociales ou d’expression artistique. Il peut aussi suivre ici une psychothérapie, là des séances de thérapie comportementale destinées essentiellement à le rendre plus sociable en classe, parfois les deux. Ce choix de certaines familles pour un morcellement des réponses vise à préserver le droit des parents de bâtir un projet de vie pour leur enfant en limitant le pouvoir des « experts » et en obéisssant à l’idéologie de la normalisation.


LA NORMALISATION


Cette idéologie  a été répandue, en 1972, par un psychologue américain d’origine allemande travaillant à Toronto, Wolf Wolfensberger. Pour résumer en la simplifiant sa démarche, l’auteur du Principle of Normalization affirme que l’institution spécialisée en stigmatisant le handicapé crée son handicap. Placé dans des conditions normales celui-ci est censé se normaliser. L’auteur plaide donc pour la suppression de toute démarche spécialisée. On comprend la faveur avec laquelle les parents d’autistes et les autistes eux-mêmes soumis au regard intrigué, critique voir hostile des autres, ont accueilli cette idéologie. Après avoir longtemps souhaité abstraire leur enfant d’un milieu jugé délétère en les isolant dans des institutions spécialisées et avoir découvert qu’ainsi ils contribuaient involontairement à leur aliénation, certaines familles basculent aujourd’hui dans l’excès inverse. Pour des raisons économiques, mais aussi en se conformant politiquement  à un idéal de normalisation, les pouvoirs publics, à travers plusieurs « plans autiste »,  semblent suivre le même impératif de scolarisation uniforme pour tous, assortie ou non de prises en charge parcellaires,  en même temps qu’ils paraissent accueillir favorablement l’attaque menée  par certaines associations contre le dispositif pédopsychiatrique public et contre une grande partie de  l’éducation spécialisée. Or la norme n’est peut-être pas le meilleur critère pour un développement harmonieux de la personnalité. De même qu’on privilégie aujourd’hui le concept de biodiversité, il faut peut-être défendre une psycho-diversité, s’adapter au rythme de vie, aux particularités affectives et cognitives de chacun et reconnaître tantôt les bénéfices tantôt les maléfices d’une scolarisation en milieu ordinaire. Si chaque enfant a droit aux apprentissages, à la culture  et à la socialisation qu’apporte l’école, encore faut-il qu’il soit en état de recevoir ces apports et que sinon il puisse trouver ailleurs et autrement les apports adaptés à sa situation.


L’INCLUSION


L’inclusion est devenue le concept à la mode. Elle s’oppose à l’exclusion qui a trop longtemps prévalu et veut mettre l’accent sur le devoir de la société d’accepter et d’inclure ses membres les plus défavorisés. Mais le terme n’est peut-être pas aussi heureux qu’il le paraît. Le premier sens que lui donne le Littré est : « Terme de tératologie. Monstruosité par inclusion, celle dans laquelle un ou plusieurs organes d’un fœtus sont enfermés dans le corps d’un autre individu ». L’inclusion est un état où la particule incluse reste toujours étrangère à l’ensemble dans laquelle elle se trouve. Est-ce cet état que l’on souhaite pour l’élève autiste inclus dans une classe ordinaire ?


L’INTÉGRATION


Le terme d’intégration qui prévalait jusqu’il y a peu a été abandonné car il était réputé placer tout l’effort du côté du sujet en voie d’intégration et minimiser le rôle du milieu qui a le devoir d’inclure l’exclus. Littré ne lui connaît que son sens mathématique et le fait dériver  du latin integrare qui signifie : remettre en son  état. Il nous semble préférable car il sous-entend un processus. L’intégration scolaire est  un travail. Elle ne se limite pas à localiser dans une classe un enfant et à l’inscrire sur les registres de l’école. Elle vise à utiliser l’institution scolaire dans toutes ses dimensions pédagogiques, culturelles, socialisantes pour une remise en état de l’enfant autiste, afin de développer outre ses connaissances, sa capacité à entrer en relation avec les autres, à se construire dans ces relations comme un sujet capable de désirer, à trouver du plaisir à se relier aux autres et à relier ses pensées et ses  émotions entre elles. Ce travail,  l’équipe pédagogique ne peut le faire seule, livrée à elle-même. Il nécessite, encore une fois, une coordination entre plusieurs acteurs soignants, éducateurs, rééducateurs, pédagogues collaborant avec la famille dans un climat de confiance mutuelle. Ce climat se construit peu à peu, à travers  les aléas et les conflits  qui émaillent n’importe quel ensemble humain. Il se met au service de l’enfant et à l’écoute de son élaboration personnelle, de ce qu’il vit au sein de cet ensemble. Cette démarche particulièrement expérimentée et théorisée en France sous le nom de psychothérapie institutionnelle, mérite mieux que le mépris infligé par une Haute Autorité de Santé, probablement mal informée.


CONCLUSION


L’hétérogénéité des cas rassemblés aujourd’hui dans le spectre autistique nécessite donc une multiplicité de réponses potentielles. Si certains sujets avec autisme peuvent bénéficier d’une scolarité quasi normale avec éventuellement des aides adjacentes, éducatives ou thérapeutiques, d’autres doivent pouvoir trouver place, dès l’école maternelle et jusqu’au lycée dans des classes spécialisées (CLIS ou ULIS) elles-mêmes coopérant avec des équipes soignantes et éducatives (Centre de jour, CATTP ou SESSAD). D’autres encore, ou les mêmes à d’autres moments, nécessitent l’aide d’un IME résidentiel ou en semi-internat, voire, pour des séjours plus ou moins prolongés, d’une hospitalisation en milieu psychiatrique. L’autisme a suscité trop de batailles ou se sont affrontés des attitudes fondées plus sur des prises de position idéologiques que sur des données scientifiques. Il est temps de revenir à l’expérience, de dépassionner les débats afin de  préserver le destin des personnes autistes et de s’adapter, tout au long de leur vie,  à la variabilité de leurs besoins, en évitant les abandons ou les ruptures et en maintenant entre les diverses prises en charge une articulation et une continuité.

RICARDO HORACIO ETCHEGOYEN (1919-2016)

Entrevista de marzo de 2002

 

A LOS 97 AÑOS, FALLECIÓ EL SÁBADO 2/7

RICARDO HORACIO ETCHEGOYEN (1919-2016)

Alejandro Dagfal (UBA/CONICET)

R. Horacio Etchegoyen probablemente haya sido el psicoanalista argentino más reconocido a nivel internacional. Fue el primer presidente latinoamericano de la International Psychoanalytic Association (IPA), entre 1993 y 1996, período en el que promovió varias reformas, incluyendo un diálogo fluido con los grupos de orientación lacaniana. También, en 1977, fue miembro Fundador de la Asociación Psicoanalítica de Buenos Aires (APdeBA) de la que fue presidente. 

La entrevista inédita que se transcribe más abajo fue realizada en el departamento que Etchegoyen tenía en la calle Posadas entre Callao y Ayacucho, el 4 de marzo de 2002. En ese entonces ya tenía 83 años. En 2009, siete años después -con noventa años cumplidos-, sería declarado Profesor Honorario de la Universidad de Buenos Aires. Los organizadores del evento temíamos que a esa edad pudiera soportar sin fatigarse las cuatro horas que iba a insumir toda la actividad, que además incluía la presentación de un libro. No sólo las sobrellevó con total lucidez, sino que, a posteriori, Etchegoyen se quedó conversando animadamente hasta el final del brindis, con una copa de champagne en la mano. 

HRE: ¿Así que Ud. es platense como yo? Bah, en realidad, yo no soy platense. Mi madre enviudó joven y se fue a La Plata, donde vivían sus hermanas, cuando yo tenía siete meses. Estudié en la escuela primaria de la UNLP, en el Colegio Nacional y en la Facultad de Medicina, todo en La Plata. Era un centro de cultura importantísimo...

Por qué se hizo tan popular Melanie Klein en la Argentina, es curioso. Hubo un período de gran auge, y después decayó un poco, y en los años ’70 sobrevino el ascenso de Lacan, aunque ella siga siendo una figura muy importante. Hay un grupo argentino –dentro del cual me incluyo– que sigue mucho a Melanie Klein. Yo, con el correr de los años, me he hecho cada vez más kleiniano, porque me parece que la suya es la mejor clínica. Es indudable que ella y Lacan son las grandes figuras de este momento...

AD: Me interesaba empezar a hablar de su propio recorrido, de sus inicios con el psicoanálisis...

Yo tuve muy buenos profesores y maestros en La Plata. Era una época de oro. En la escuela primaria “Joaquín V. González” tuve maestras excepcionales (todas eran profesoras). Después, estudié en el Colegio Nacional, en los años ’30 (terminé en el ’37). Allí tuve grandes profesores, como Pedro Henríquez Ureña y Narciso Binayán Carmona, que eran muy amigos entre sí. Ellos influyeron mucho en mi formación. También Delucca, el profesor de matemáticas, e Hilario Magliano, que era profesor de física. Lo tuve también a Ezequiel Martínez Estrada. Todos ellos eran grandes maestros; enseñaban algo más que sus propias disciplinas, enseñaban una forma de vivir, un acercamiento a la cultura que era notable. Otro hombre que influyó en mucho en mí fue José Gabriel, un profesor de literatura, que me dio el contacto con el Martín Fierro y con toda la literatura argentina del siglo XIX, que es tan importante. Era un hombre muy luchador.

En la Facultad tuve también muy buenos profesores. Recuerdo a Lambert y a Eugenio Galli, profesores de Anatomía. Fui alumno de la cátedra de anatomía patológica de Andrés E. Bianchi, que murió joven. El quería que yo fuera anatomo-patólogo, y a mí me gustaba mucho, me interesaba la histología patológica. También lo tuve a Manuel del Carril en Clínica Médica, un reformista de una cultura intachable. Yo me recibí en le ’49, después de casarme. Grandes profesores, maestros comprometidos con la Reforma Universitaria, que es algo que influyó mucho en mi vida. Yo sigo siendo un hombre de la Reforma Universitaria, que poco tiene que ver con la Franja Morada actual. Cuando yo militaba había una ética reformista muy estricta, al punto de que los líderes reformistas no estaban inscriptos en los partidos polítcos, para quedar libres de toda sospecha. Vicente Ruiz, el profesor de Ginecología influyó mucho en mí. Y después yo fui ayudante de la cátedra de Egidio S. Mazzei, un distinguidísimo discípulo de Aráoz Castex. Él quería mucho que yo formara parte de su equipo, y que me dedicara, dentro del equipo de clínica médica, a la parte de Anatomía Patológica. 

Y yo estuve oscilando entre la clínica médica y la psiquiatría, en esos años, de casualidad tomé contacto con Beba Friedman, que era la secretaria administrativa de la primera APA, de la calle Juncal. La conocí el día que murió mi padrino, Horacio Oyhanarte, el ministro de Yrigoyen. Yo estaba en el velatorio de Horacio, y salí a dar una vuelta, y me encontré con la APA, y hablé con Beba Friedman. Me parece que eso decidió mi vocación. Y empecé mi formación en los años ‘50.

Como psiquiatra y psicoanalista yo trabajé mucho tiempo en el Servicio de Admisión del Hospital de Melchor Romero, en La Plata. Llegué a ser jefe de admisión. Podría decirse que ahí era un psiquiatra joven y distinguido. La mayor influencia la recibí de José María Blanco, que era un hombre sumamente culto y muy buen psiquiatra, que me enseño la psiquiatría clínica. Y después, los grandes maestros: Enrique-Pichon (yo estuve bastante conectado con Enrique), Mimí Langer. Menos con Cárcamo, a pesar de que lo estimé siempre mucho. Y después Libermann y Grinberg, siendo más de mi generación, ya fueron maestros míos. Mi análisis didáctico lo hice con Enrique (Heinrich) Racker, en lo que probablemente haya sido la experiencia más importante de mi vida. Fue un hombre de una probidad intelectual y de una agudeza clínica verdaderamente remarcable. En esos años, mientras yo me analizaba con él, construyó toda la teoría de la contratransferencia.

De modo que eran años importantes para él, para mí y para el movimiento psicoanalítico. Después, en el año ‘56, cuando ya mi análisis estaba terminando, me propuso Pichon-Rivière para que fuera a Mendoza como profesor de psiquiatría, y allí estuve casi diez años (porque en el ’66 me fui un año a Londres con una beca). Me analicé con Donald Meltzer, y ya en el ’67 me instalé en Buenos Aires. Como profesor de psiquiatría dicen que fui un muy buen profesor, y podría haber terminado mi vida en Mendoza, pero me echaron porque había una camarilla clerical reaccionaria, a lo que se sumaba que yo también era imprudente. Por ejemplo, una vez estaba hablando de Darwin, y un alumno me dijo “pero eso no es lo que dice la biblia”, a lo que respondí “y a mí qué me importa qué diga la biblia”. Era imprudente, porque no medía el riesgo que eso significaba... Pero bueno, en esa época era tan reformista como antes y como ahora. 

Y cuando fui presidente de la IPA toda mi ideología fue la de la Reforma Universitaria, e hice muchas cosas en ese sentido. Por ejemplo, una de las cosas más importantes fue la abolición del secreto de las actas. Usted sabe que las actas de del Consejo eran secretas, nadie las podía consultar. Pero en un sentido tan absurdo, que si Ud. quería defender una posición.... Le cuento un ejemplo concreto: una vicepresidenta de ese momento, que quería defender la situación de una sociedad de Río de Janeiro, pidió las actas para fundamentar su posición, para mostrar cómo esa sociedad había sido reconocida por la IPA. Y no le dieron acceso a las actas. Entonces, algunos miembros del Consejo, que habían estado en esas reuniones, disponían de las actas. Esta mujer, que no había estado, no podía disponer de las actas ni podía discutir sobre la base de esos documentos. Es decir, no sabía si realmente el Consejo Ejecutivo de la IPA había autorizado o no tal posición. Así que como miembro de la IPA, casi sin pensarlo, eso lo modifiqué. Como también modifique el asunto ése de las torturas en Brasil [se refiere al caso de Amílcar Lobo, un candidato a analista que como médico militar había estado involucrado en episodios de tortura en los años ’70, episodio silenciado por la IPA hasta los años ‘90]. 

AD: ¿Y no tuvo oposición en el seno del Consejo Ejecutivo?

Sí, mucha. Muchísima... El Consejo me veía como un peligro a mí. Como a un reformista... Pero las cosas fundamentales que quise hacer, las hice. Entre esas cosas también está lo del contacto con Miller. La gente del Consejo me preguntaba “¿Pero por qué Miller”. Bueno, con Miller hubo una oportunidad. Más allá de que yo le tenga simpatía o antipatía (y yo reconozco que le tengo simpatía) es el hombre más importante del lacanismo. Porque hay otros eminentes lacanianos, pero que no tienen la fuerza institucional que tiene Miller. Por ejemplo, entre nosotros está Guillermo Maci [filósofo fallecido en 2012], que es un tipo eximio (con el cual yo estudié Lacan), pero él no tiene el poder de convocatoria de Jacques-Alain. Si uno quiere establecer un diálogo con los lacanianos, tiene que hacerlo  a través de Miller, lo cual no implica ingenuidad ni partidismo. Él me invitó ahora a un simposium, de la revista Ornicar, y yo no fui, aunque él quería que yo  hablara del “Principio de Horacio”, y todo eso [así denominaba Miller a la idea de Etchegoyen según la cual ningún grupo psicoanalítico podía arrogarse la representación de la totalidad del movimiento]. Él piensa que yo dí un paso fundamental, y creo que lo di. Pero tampoco quiero quedar como aliado de Miller. La idea que yo tengo es que hay que hablar con los lacanianos, y que eso es bueno para todos, para los lacanianos y para nosotros. Pero no quiero participar ya de una determinada política, así que por eso no fui a París. Pero mi relación con Miller es buena, y la de él conmigo también...

AD: ¿Qué fue lo que lo llevó a Ud. a querer hablar con los lacanianos?

Bueno, cuando yo hice mi campaña para la presidencia, dije que había que establecer un diálogo con los lacanianos. Se dio la circunstancia de que un alumno muy distinguido de Miller, que es Dominique Wintrebert, es co-director de la revista Vertex, y el otro director de Vertex es Juan Carlos Stagnaro, que fue alumno mío, y que fue el que, con Olga Guinsburg, la atendió a Élida, mi señora, por el Alzheimer. Así que ellos organizaron la reunión, y tuvimos una reunión acá, en mi consultorio. Y después hicimos otras reuniones. Miller es un hombre indispensable para el lacanismo, aunque no le guste a mucha gente.

AD: Imagino que lo han criticado mucho por ese paso...

Me criticaron, sí, pero también me respetaron, porque se dieron cuenta de que yo no estaba impulsado por razones políticas, sino estrictamente científicas. Yo incluso diría que a nosotros nos conviene hablar con los lacanianos, porque tenemos una buena clínica en la IPA, de modo que podemos discutir perfectamente, demostrando hasta qué punto nuestra posición es solvente y es freudiana. De modo que yo sigo pensando que hay que seguir discutiendo. Lo mismo con los junguianos (ahora hay muchos en Londres, en Italia y en Europa en general). Creo que tenemos que establecer un diálogo. En realidad, ya se está estableciendo.

AD: ¿Usted ha tenido algún tipo de respuesta de parte de la gente de la Sociedad Psicoanalítica de París (SPP) a raíz de este acercamiento?

Y, ellos me respetan a mí. Me respeta André Green, que es la figura más importante de la SPP, y tambien me respeta Daniel Widlocher, que es el presidente de la IPA, y es probablemente la figura más importante de la APF. Pero lo ven a Miller como muy sectario, muy politiquero, que tal vez lo sea, pero eso a mí no me importó. A mí me importaban las grandes líneas de contacto. Yo he leído bastante a Lacan, y no coincido con él, pero no dejo de reconocer que es un hombre de una presencia innegable en el psicoanálisis de fines del siglo XX, y que va a seguir siéndolo en este siglo también. Ahí discrepo con mi gran amigo, alumno y discípulo Jorge Luis Ahumada. Él tiene una posición muy beligerante contra Lacan; yo no. Coincido con los puntos de vista de Ahumada, que son los míos, pero no con tanta vehemencia.

AD: Me gustaría que me hablase de los inicios de su formación en la APA...

Antes de conocerla a Beba Friedman, yo le escribí una carta a un tal Enrique Pichon-Rivière –quien creo que en ese momento era Director del Instituto–, diciéndole que yo quería ser psicoanalista. Él me contestó diciéndome que la primera condición para ser psicoanalista era analizarse. Yo me acuerdo que le dije a mi mujer “Pero fijáte vos, qué ridículo. Eso quiere decir que si yo quiero ser partero tengo que tener un hijo...” De modo que después, y esto es un dato interesante, cuando yo todavía vivía en La Plata empecé a viajar los sábados a unas clases que se daban en la clínica de la calle Copérnico (donde vivía Enrique Pichon). Ahí se reunía la flor y nata de los analistas de aquella época. En ese momento empezó un contacto con él que duró muchos años... Me abrieron las puertas, me consiguieron un analista, Luis Rascovsky (el hermano de Arnaldo), con el que no me fue bien. Rascovsky interrumpió mi análisis, después de un año y medio, diciendo que yo nunca iba llegar a ser analista. Evidentemente, en algo se equivocó... Y ahí me ayudó mucho Enrique Pichon, para analizarme con Racker, que todavía no era analista didáctico. Después él me autorizó a seguir los seminarios, y comencé a hacer la carrera, siempre viajando desde La Plata. Recién en el ‘56 surgió lo de Mendoza, también por acción de Enrique Pichon. Él me bancó mucho, y yo quedé ligado a él. Además, lo admiraba por sus enormes conocimientos de psiquiatría y de psicoanálisis. Era una figura prominente.

AD: Y a nivel teórico, ¿cómo fue su acercamiento a Melanie Klein en ese momento?

Ésta es la pregunta más difícil ésta. Indudablemente, Enrique Pichon fue el que trajo a Melanie Klein; la comparó con  Anna Freud y optó por Melanie Klein. Pero Enrique Pichon era también un analista francés. Uno no se da cuenta de eso. No hay ninguna duda de que él estaba en contacto con Lagache y con Lacan. Alguien me dijo alguna vez que en el ‘51, en ocasión del Congreso de psicoanalistas de lengua francesa, cuando Lagache presentó ese trabajo tan importante sobre la transferencia, Pichon presentó su trabajo sobre la transferencia en la psicosis, y Lacan su Intervention sur le tranfert. Es decir que ahí estuvieron juntos. Y alguien me dijo que con Lacan se dieron un abrazo, de modo que algún tipo de psicoanálisis francés (cuyo paradigma en ese momento sería Lagache, con una teoría de la personalidad basada en la conducta), influyó en Enrique, y por consiguiente en Bleger. Porque Bleger, Libermann y Rolla fueron discípulos notorios de Enrique. Así que dentro de esa actitud de psicoanálisis británico y kleiniano, se infiltraba algún tipo de psicología de la personalidad de los autores franceses, entre los cuales estaba Lagache, y estaba también Politzer. Porque el libro de Psicoanálisis y materialismo dialéctico de Bleger es un contrapunto con Politzer. A mí me parece que esa influencia la sintieron los analistas argentinos, aunque a la larga optaron por la idea de fantasía inconsciente y no de acto de conducta, lo cual los define como kleinianos, y yo diría que también como analistas. Ahí está tal vez la diferencia entre la psicología y el psicoanálisis: una cosa sería la conducta, y otra cosa sería la fantasía inconsciente. Esto último es kleiniano, pero también es freudiano y es psicoanalítico. A mí me parece que ahí hubo indudablemente una influencia. La verdad es que eso podría ser un buen tema de estudio: cómo la orientación kleiniana en la Argentina recibió “subrepticiamente” una influencia de Lagache y de Lacan, del pensamiento francés en general. Si Ud. recuerda la exposición que yo hago de las ideas de Lagache en mi libro Fundamentos y técnicas del psicoanálisis, yo digo que la idea de utilizar el efecto Zeigarnik para explicar la transferencia es una idea formidable, pero no coincido con el paso que da Lagache después, en el mismo trabajo, en el sentido de que hay un acto de conducta, que significa la repetición de algo que está en contra de la idea de asociación libre, lo cual lo lleva a reclasificar la transferencia en positiva y negativa en términos de sus efectos y no de sus afectos... Ahí se mezcla nuevamente el behaviorismo, completamente... Si uno clasifica la transferencia por sus afectos en positiva y negativa, lo que pasa en el fenómeno transferencial es completamente neutral. Si la clasifica en términos de sus efectos, la transferencia positiva es lo que facilita y la transferencia negativa la que obstruye. Ahí paga Lagache un precio muy alto. 


AD: ¿Cómo se veía desde el grupo de la APA este “alejamiento” de Pichon por la vía de la psicología francesa?


No me gustó. Nunca estuve de acuerdo. Por ejemplo, la idea de la revisión de la teoría de las pulsiones en términos de configuraciones sociales, nunca me gustó. Para mí, la teoría de los instintos es básica. En eso estoy más cerca de Reik y de Melanie Klein que de Enrique, cuando él empieza a alejarse cada vez más del psicoanálisis hacia la psicología social. Eso, brumosamente, yo lo pensaba así. Digo “brumosamente” porque no tenía los conocimientos que ahora tengo, como para decirle a Enrique “en esto no te sigo”. Por ejemplo, todos los trabajos de Enrique, de Baranger y de Bleger discutiendo duramente la metapsicología y el factor cuantitativo, nunca me gustaron.

AD: ¿Recuerda cómo se recibió en el seno de la APA el libro de Bleger sobre psicoanálisis y dialéctica materialista?

Recuerdo que José me lo regaló, y me pidió que lo leyera, y yo le di alguna opinión, pero en ese momento no tenía instrumentos para discutirle. Quizás cuando digo que yo me he ido haciendo cada vez más kleiniano, tal vez lo que quiero decir es que me he ido alejando de ese tipo de posiciones, como la de Enrique, y en parte José. No tanto Libermann que, en su extraordinario desarrollo lingüístico respecto de la acción comunicativa, se mantuvo más de acuerdo con Freud y con Abraham.

[…]

Cuando vino Bion acá por primera vez, en el 68. No pude tomar contacto con él en Londres, porque a los kleinianos que dirigieron allá mi año de formación no les pareció sensato que yo fuera a los seminarios de Bion, tal vez con razón. Al mismo tiempo, Bion se fue a Estados Unidos. Cuando el vino en el ’68, yo presenté un caso con Bion, caso que discutimos de manera interesante. Era un hombre muy clínico y muy sagaz. Yo admiro más al Bion de los Estudios sobre el pensamiento esquizofrénico (y sobre el pensamiento en general), que al Bion de lo incognoscible y de las transformaciones en cero. No sólo no lo acepto sino que lo rechazo. A mi me nefrega lo incognoscible. Yo trato de conocer lo que es cognoscible; hacer una teoría de lo incognoscible me parece reaccionario, por decirlo de alguna manera. Todo el último Bion del psiquismo fetal (que tampoco le reconoce a Arnaldo Rascovsky lo que él hizo por el psiquismo fetal, lo cual no me parece honesto). Nadie puede sospechar que yo sea rascovskiano, pero las cosas hay que decirlas como son. Ni Bion ni Meltzer reconocen que mucho antes que ellos Arnaldo ya hablaba del psiquismo fetal...

AD: Siguiendo con la cuestión bioniana, ¿tuvo Ud. algún contacto con la Asociación Argentina de Grupos?

Yo tuve algún contacto con los grupos. Es más, en Mendoza trabajaba con grupos. Después, cuando vine para Buenos Aires, por esas cuestiones del azar... yo pensé que iba a ocupar un lugar más destacado como psiquiatra. Porque después de Goldemberg, supuestamente venía yo. Pero no fue así, ni los grupos ni la psiquiatría me llamaron ni me rescataron, y me fui haciendo cada vez más analista. Por cuestiones coyunturales. 

AD: ¿Cómo fue su ida a Londres en el ‘66? 

Cuando me echaron de Mendoza, la Organización Panamericana de la Salud me dio una beca, como una forma de reivindicación por lo injusto que había sido todo. Era una forma de que yo me fuera bien de Mendoza. Y elegí la Tavistock Clinic, y tomé contacto con el grupo kleiniano. Le pedí hora a Hanna Segal, que no me dio y me mandó con Meltzer. Lo más importante de ese año, para mí, fue el análisis con Meltzer y los seminarios de Betty Joseph, de Esther Bick y de Money-Kyrle, quien fue después una figura muy importante en mi vida. Él sigue la línea de los instintos y de la etología, pero más que Bion. Yo me siento más ligado a él que a Bion, por ese anclaje en la biología y en la etología. Él dice al final de su vida que su intención es conectar el psicoanálisis con la etología, cosa que por otra parte yo también he hecho. Tengo una admiración muy muy grande por Money-Kyrle.

AD: ¿Y su análisis con Meltzer fue en inglés?

Sí, fue en inglés, pero él me ayudó mucho. En realidad, el lenguaje del inconsciente, a nivel del proceso primario, tal vez se dé mejor cuando uno habla mal el idioma que cuando lo habla bien... Yo creo que, por mérito de Meltzer, no me resultó muy difícil analizarme en inglés. Pero mi relación con el inglés ha sido siempre la de un amante frustrado, porque yo tengo un amor y una admiración enormes por el inglés, pero nunca llegué a apropiarme de ese idioma. Siempre digo que si hubiera estudiado psicoanálisis como estudié inglés, sería un sabio.R. Horacio Etchegoyen probablemente haya sido el psicoanalista argentino más reconocido a nivel internacional. Fue el primer presidente latinoamericano de la International Psychoanalytic Association (IPA), entre 1993 y 1996, período en el que promovió varias reformas, incluyendo un diálogo fluido con los grupos de orientación lacaniana. También, en 1977, fue miembro Fundador de la Asociación Psicoanalítica de Buenos Aires (APdeBA) de la que fue presidente. 

La entrevista inédita que se transcribe más abajo fue realizada en el departamento que Etchegoyen tenía en la calle Posadas entre Callao y Ayacucho, el 4 de marzo de 2002. En ese entonces ya tenía 83 años. En 2009, siete años después -con noventa años cumplidos-, sería declarado Profesor Honorario de la Universidad de Buenos Aires. Los organizadores del evento temíamos que a esa edad pudiera soportar sin fatigarse las cuatro horas que iba a insumir toda la actividad, que además incluía la presentación de un libro. No sólo las sobrellevó con total lucidez, sino que, a posteriori, Etchegoyen se quedó conversando animadamente hasta el final del brindis, con una copa de champagne en la mano. 

HRE: ¿Así que Ud. es platense como yo? Bah, en realidad, yo no soy platense. Mi madre enviudó joven y se fue a La Plata, donde vivían sus hermanas, cuando yo tenía siete meses. Estudié en la escuela primaria de la UNLP, en el Colegio Nacional y en la Facultad de Medicina, todo en La Plata. Era un centro de cultura importantísimo...

Por qué se hizo tan popular Melanie Klein en la Argentina, es curioso. Hubo un período de gran auge, y después decayó un poco, y en los años ’70 sobrevino el ascenso de Lacan, aunque ella siga siendo una figura muy importante. Hay un grupo argentino –dentro del cual me incluyo– que sigue mucho a Melanie Klein. Yo, con el correr de los años, me he hecho cada vez más kleiniano, porque me parece que la suya es la mejor clínica. Es indudable que ella y Lacan son las grandes figuras de este momento...

AD: Me interesaba empezar a hablar de su propio recorrido, de sus inicios con el psicoanálisis...

Yo tuve muy buenos profesores y maestros en La Plata. Era una época de oro. En la escuela primaria “Joaquín V. González” tuve maestras excepcionales (todas eran profesoras). Después, estudié en el Colegio Nacional, en los años ’30 (terminé en el ’37). Allí tuve grandes profesores, como Pedro Henríquez Ureña y Narciso Binayán Carmona, que eran muy amigos entre sí. Ellos influyeron mucho en mi formación. También Delucca, el profesor de matemáticas, e Hilario Magliano, que era profesor de física. Lo tuve también a Ezequiel Martínez Estrada. Todos ellos eran grandes maestros; enseñaban algo más que sus propias disciplinas, enseñaban una forma de vivir, un acercamiento a la cultura que era notable. Otro hombre que influyó en mucho en mí fue José Gabriel, un profesor de literatura, que me dio el contacto con el Martín Fierro y con toda la literatura argentina del siglo XIX, que es tan importante. Era un hombre muy luchador.

En la Facultad tuve también muy buenos profesores. Recuerdo a Lambert y a Eugenio Galli, profesores de Anatomía. Fui alumno de la cátedra de anatomía patológica de Andrés E. Bianchi, que murió joven. El quería que yo fuera anatomo-patólogo, y a mí me gustaba mucho, me interesaba la histología patológica. También lo tuve a Manuel del Carril en Clínica Médica, un reformista de una cultura intachable. Yo me recibí en le ’49, después de casarme. Grandes profesores, maestros comprometidos con la Reforma Universitaria, que es algo que influyó mucho en mi vida. Yo sigo siendo un hombre de la Reforma Universitaria, que poco tiene que ver con la Franja Morada actual. Cuando yo militaba había una ética reformista muy estricta, al punto de que los líderes reformistas no estaban inscriptos en los partidos polítcos, para quedar libres de toda sospecha. Vicente Ruiz, el profesor de Ginecología influyó mucho en mí. Y después yo fui ayudante de la cátedra de Egidio S. Mazzei, un distinguidísimo discípulo de Aráoz Castex. Él quería mucho que yo formara parte de su equipo, y que me dedicara, dentro del equipo de clínica médica, a la parte de Anatomía Patológica. 

Y yo estuve oscilando entre la clínica médica y la psiquiatría, en esos años, de casualidad tomé contacto con Beba Friedman, que era la secretaria administrativa de la primera APA, de la calle Juncal. La conocí el día que murió mi padrino, Horacio Oyhanarte, el ministro de Yrigoyen. Yo estaba en el velatorio de Horacio, y salí a dar una vuelta, y me encontré con la APA, y hablé con Beba Friedman. Me parece que eso decidió mi vocación. Y empecé mi formación en los años ‘50.

Como psiquiatra y psicoanalista yo trabajé mucho tiempo en el Servicio de Admisión del Hospital de Melchor Romero, en La Plata. Llegué a ser jefe de admisión. Podría decirse que ahí era un psiquiatra joven y distinguido. La mayor influencia la recibí de José María Blanco, que era un hombre sumamente culto y muy buen psiquiatra, que me enseño la psiquiatría clínica. Y después, los grandes maestros: Enrique-Pichon (yo estuve bastante conectado con Enrique), Mimí Langer. Menos con Cárcamo, a pesar de que lo estimé siempre mucho. Y después Libermann y Grinberg, siendo más de mi generación, ya fueron maestros míos. Mi análisis didáctico lo hice con Enrique (Heinrich) Racker, en lo que probablemente haya sido la experiencia más importante de mi vida. Fue un hombre de una probidad intelectual y de una agudeza clínica verdaderamente remarcable. En esos años, mientras yo me analizaba con él, construyó toda la teoría de la contratransferencia.

De modo que eran años importantes para él, para mí y para el movimiento psicoanalítico. Después, en el año ‘56, cuando ya mi análisis estaba terminando, me propuso Pichon-Rivière para que fuera a Mendoza como profesor de psiquiatría, y allí estuve casi diez años (porque en el ’66 me fui un año a Londres con una beca). Me analicé con Donald Meltzer, y ya en el ’67 me instalé en Buenos Aires. Como profesor de psiquiatría dicen que fui un muy buen profesor, y podría haber terminado mi vida en Mendoza, pero me echaron porque había una camarilla clerical reaccionaria, a lo que se sumaba que yo también era imprudente. Por ejemplo, una vez estaba hablando de Darwin, y un alumno me dijo “pero eso no es lo que dice la biblia”, a lo que respondí “y a mí qué me importa qué diga la biblia”. Era imprudente, porque no medía el riesgo que eso significaba... Pero bueno, en esa época era tan reformista como antes y como ahora. 

Y cuando fui presidente de la IPA toda mi ideología fue la de la Reforma Universitaria, e hice muchas cosas en ese sentido. Por ejemplo, una de las cosas más importantes fue la abolición del secreto de las actas. Usted sabe que las actas de del Consejo eran secretas, nadie las podía consultar. Pero en un sentido tan absurdo, que si Ud. quería defender una posición.... Le cuento un ejemplo concreto: una vicepresidenta de ese momento, que quería defender la situación de una sociedad de Río de Janeiro, pidió las actas para fundamentar su posición, para mostrar cómo esa sociedad había sido reconocida por la IPA. Y no le dieron acceso a las actas. Entonces, algunos miembros del Consejo, que habían estado en esas reuniones, disponían de las actas. Esta mujer, que no había estado, no podía disponer de las actas ni podía discutir sobre la base de esos documentos. Es decir, no sabía si realmente el Consejo Ejecutivo de la IPA había autorizado o no tal posición. Así que como miembro de la IPA, casi sin pensarlo, eso lo modifiqué. Como también modifique el asunto ése de las torturas en Brasil [se refiere al caso de Amílcar Lobo, un candidato a analista que como médico militar había estado involucrado en episodios de tortura en los años ’70, episodio silenciado por la IPA hasta los años ‘90]. 

AD: ¿Y no tuvo oposición en el seno del Consejo Ejecutivo?

Sí, mucha. Muchísima... El Consejo me veía como un peligro a mí. Como a un reformista... Pero las cosas fundamentales que quise hacer, las hice. Entre esas cosas también está lo del contacto con Miller. La gente del Consejo me preguntaba “¿Pero por qué Miller”. Bueno, con Miller hubo una oportunidad. Más allá de que yo le tenga simpatía o antipatía (y yo reconozco que le tengo simpatía) es el hombre más importante del lacanismo. Porque hay otros eminentes lacanianos, pero que no tienen la fuerza institucional que tiene Miller. Por ejemplo, entre nosotros está Guillermo Maci [filósofo fallecido en 2012], que es un tipo eximio (con el cual yo estudié Lacan), pero él no tiene el poder de convocatoria de Jacques-Alain. Si uno quiere establecer un diálogo con los lacanianos, tiene que hacerlo  a través de Miller, lo cual no implica ingenuidad ni partidismo. Él me invitó ahora a un simposium, de la revista Ornicar, y yo no fui, aunque él quería que yo  hablara del “Principio de Horacio”, y todo eso [así denominaba Miller a la idea de Etchegoyen según la cual ningún grupo psicoanalítico podía arrogarse la representación de la totalidad del movimiento]. Él piensa que yo dí un paso fundamental, y creo que lo di. Pero tampoco quiero quedar como aliado de Miller. La idea que yo tengo es que hay que hablar con los lacanianos, y que eso es bueno para todos, para los lacanianos y para nosotros. Pero no quiero participar ya de una determinada política, así que por eso no fui a París. Pero mi relación con Miller es buena, y la de él conmigo también...

AD: ¿Qué fue lo que lo llevó a Ud. a querer hablar con los lacanianos?

Bueno, cuando yo hice mi campaña para la presidencia, dije que había que establecer un diálogo con los lacanianos. Se dio la circunstancia de que un alumno muy distinguido de Miller, que es Dominique Wintrebert, es co-director de la revista Vertex, y el otro director de Vertex es Juan Carlos Stagnaro, que fue alumno mío, y que fue el que, con Olga Guinsburg, la atendió a Élida, mi señora, por el Alzheimer. Así que ellos organizaron la reunión, y tuvimos una reunión acá, en mi consultorio. Y después hicimos otras reuniones. Miller es un hombre indispensable para el lacanismo, aunque no le guste a mucha gente.

AD: Imagino que lo han criticado mucho por ese paso...

Me criticaron, sí, pero también me respetaron, porque se dieron cuenta de que yo no estaba impulsado por razones políticas, sino estrictamente científicas. Yo incluso diría que a nosotros nos conviene hablar con los lacanianos, porque tenemos una buena clínica en la IPA, de modo que podemos discutir perfectamente, demostrando hasta qué punto nuestra posición es solvente y es freudiana. De modo que yo sigo pensando que hay que seguir discutiendo. Lo mismo con los junguianos (ahora hay muchos en Londres, en Italia y en Europa en general). Creo que tenemos que establecer un diálogo. En realidad, ya se está estableciendo.

AD: ¿Usted ha tenido algún tipo de respuesta de parte de la gente de la Sociedad Psicoanalítica de París (SPP) a raíz de este acercamiento?

Y, ellos me respetan a mí. Me respeta André Green, que es la figura más importante de la SPP, y tambien me respeta Daniel Widlocher, que es el presidente de la IPA, y es probablemente la figura más importante de la APF. Pero lo ven a Miller como muy sectario, muy politiquero, que tal vez lo sea, pero eso a mí no me importó. A mí me importaban las grandes líneas de contacto. Yo he leído bastante a Lacan, y no coincido con él, pero no dejo de reconocer que es un hombre de una presencia innegable en el psicoanálisis de fines del siglo XX, y que va a seguir siéndolo en este siglo también. Ahí discrepo con mi gran amigo, alumno y discípulo Jorge Luis Ahumada. Él tiene una posición muy beligerante contra Lacan; yo no. Coincido con los puntos de vista de Ahumada, que son los míos, pero no con tanta vehemencia.

AD: Me gustaría que me hablase de los inicios de su formación en la APA...

Antes de conocerla a Beba Friedman, yo le escribí una carta a un tal Enrique Pichon-Rivière –quien creo que en ese momento era Director del Instituto–, diciéndole que yo quería ser psicoanalista. Él me contestó diciéndome que la primera condición para ser psicoanalista era analizarse. Yo me acuerdo que le dije a mi mujer “Pero fijáte vos, qué ridículo. Eso quiere decir que si yo quiero ser partero tengo que tener un hijo...” De modo que después, y esto es un dato interesante, cuando yo todavía vivía en La Plata empecé a viajar los sábados a unas clases que se daban en la clínica de la calle Copérnico (donde vivía Enrique Pichon). Ahí se reunía la flor y nata de los analistas de aquella época. En ese momento empezó un contacto con él que duró muchos años... Me abrieron las puertas, me consiguieron un analista, Luis Rascovsky (el hermano de Arnaldo), con el que no me fue bien. Rascovsky interrumpió mi análisis, después de un año y medio, diciendo que yo nunca iba llegar a ser analista. Evidentemente, en algo se equivocó... Y ahí me ayudó mucho Enrique Pichon, para analizarme con Racker, que todavía no era analista didáctico. Después él me autorizó a seguir los seminarios, y comencé a hacer la carrera, siempre viajando desde La Plata. Recién en el ‘56 surgió lo de Mendoza, también por acción de Enrique Pichon. Él me bancó mucho, y yo quedé ligado a él. Además, lo admiraba por sus enormes conocimientos de psiquiatría y de psicoanálisis. Era una figura prominente.

AD: Y a nivel teórico, ¿cómo fue su acercamiento a Melanie Klein en ese momento?

Ésta es la pregunta más difícil ésta. Indudablemente, Enrique Pichon fue el que trajo a Melanie Klein; la comparó con  Anna Freud y optó por Melanie Klein. Pero Enrique Pichon era también un analista francés. Uno no se da cuenta de eso. No hay ninguna duda de que él estaba en contacto con Lagache y con Lacan. Alguien me dijo alguna vez que en el ‘51, en ocasión del Congreso de psicoanalistas de lengua francesa, cuando Lagache presentó ese trabajo tan importante sobre la transferencia, Pichon presentó su trabajo sobre la transferencia en la psicosis, y Lacan su Intervention sur le tranfert. Es decir que ahí estuvieron juntos. Y alguien me dijo que con Lacan se dieron un abrazo, de modo que algún tipo de psicoanálisis francés (cuyo paradigma en ese momento sería Lagache, con una teoría de la personalidad basada en la conducta), influyó en Enrique, y por consiguiente en Bleger. Porque Bleger, Libermann y Rolla fueron discípulos notorios de Enrique. Así que dentro de esa actitud de psicoanálisis británico y kleiniano, se infiltraba algún tipo de psicología de la personalidad de los autores franceses, entre los cuales estaba Lagache, y estaba también Politzer. Porque el libro de Psicoanálisis y materialismo dialéctico de Bleger es un contrapunto con Politzer. A mí me parece que esa influencia la sintieron los analistas argentinos, aunque a la larga optaron por la idea de fantasía inconsciente y no de acto de conducta, lo cual los define como kleinianos, y yo diría que también como analistas. Ahí está tal vez la diferencia entre la psicología y el psicoanálisis: una cosa sería la conducta, y otra cosa sería la fantasía inconsciente. Esto último es kleiniano, pero también es freudiano y es psicoanalítico. A mí me parece que ahí hubo indudablemente una influencia. La verdad es que eso podría ser un buen tema de estudio: cómo la orientación kleiniana en la Argentina recibió “subrepticiamente” una influencia de Lagache y de Lacan, del pensamiento francés en general. Si Ud. recuerda la exposición que yo hago de las ideas de Lagache en mi libro Fundamentos y técnicas del psicoanálisis, yo digo que la idea de utilizar el efecto Zeigarnik para explicar la transferencia es una idea formidable, pero no coincido con el paso que da Lagache después, en el mismo trabajo, en el sentido de que hay un acto de conducta, que significa la repetición de algo que está en contra de la idea de asociación libre, lo cual lo lleva a reclasificar la transferencia en positiva y negativa en términos de sus efectos y no de sus afectos... Ahí se mezcla nuevamente el behaviorismo, completamente... Si uno clasifica la transferencia por sus afectos en positiva y negativa, lo que pasa en el fenómeno transferencial es completamente neutral. Si la clasifica en términos de sus efectos, la transferencia positiva es lo que facilita y la transferencia negativa la que obstruye. Ahí paga Lagache un precio muy alto. 


AD: ¿Cómo se veía desde el grupo de la APA este “alejamiento” de Pichon por la vía de la psicología francesa?


No me gustó. Nunca estuve de acuerdo. Por ejemplo, la idea de la revisión de la teoría de las pulsiones en términos de configuraciones sociales, nunca me gustó. Para mí, la teoría de los instintos es básica. En eso estoy más cerca de Reik y de Melanie Klein que de Enrique, cuando él empieza a alejarse cada vez más del psicoanálisis hacia la psicología social. Eso, brumosamente, yo lo pensaba así. Digo “brumosamente” porque no tenía los conocimientos que ahora tengo, como para decirle a Enrique “en esto no te sigo”. Por ejemplo, todos los trabajos de Enrique, de Baranger y de Bleger discutiendo duramente la metapsicología y el factor cuantitativo, nunca me gustaron.

AD: ¿Recuerda cómo se recibió en el seno de la APA el libro de Bleger sobre psicoanálisis y dialéctica materialista?

Recuerdo que José me lo regaló, y me pidió que lo leyera, y yo le di alguna opinión, pero en ese momento no tenía instrumentos para discutirle. Quizás cuando digo que yo me he ido haciendo cada vez más kleiniano, tal vez lo que quiero decir es que me he ido alejando de ese tipo de posiciones, como la de Enrique, y en parte José. No tanto Libermann que, en su extraordinario desarrollo lingüístico respecto de la acción comunicativa, se mantuvo más de acuerdo con Freud y con Abraham.

[…]

Cuando vino Bion acá por primera vez, en el 68. No pude tomar contacto con él en Londres, porque a los kleinianos que dirigieron allá mi año de formación no les pareció sensato que yo fuera a los seminarios de Bion, tal vez con razón. Al mismo tiempo, Bion se fue a Estados Unidos. Cuando el vino en el ’68, yo presenté un caso con Bion, caso que discutimos de manera interesante. Era un hombre muy clínico y muy sagaz. Yo admiro más al Bion de los Estudios sobre el pensamiento esquizofrénico (y sobre el pensamiento en general), que al Bion de lo incognoscible y de las transformaciones en cero. No sólo no lo acepto sino que lo rechazo. A mi me nefrega lo incognoscible. Yo trato de conocer lo que es cognoscible; hacer una teoría de lo incognoscible me parece reaccionario, por decirlo de alguna manera. Todo el último Bion del psiquismo fetal (que tampoco le reconoce a Arnaldo Rascovsky lo que él hizo por el psiquismo fetal, lo cual no me parece honesto). Nadie puede sospechar que yo sea rascovskiano, pero las cosas hay que decirlas como son. Ni Bion ni Meltzer reconocen que mucho antes que ellos Arnaldo ya hablaba del psiquismo fetal...

AD: Siguiendo con la cuestión bioniana, ¿tuvo Ud. algún contacto con la Asociación Argentina de Grupos?

Yo tuve algún contacto con los grupos. Es más, en Mendoza trabajaba con grupos. Después, cuando vine para Buenos Aires, por esas cuestiones del azar... yo pensé que iba a ocupar un lugar más destacado como psiquiatra. Porque después de Goldemberg, supuestamente venía yo. Pero no fue así, ni los grupos ni la psiquiatría me llamaron ni me rescataron, y me fui haciendo cada vez más analista. Por cuestiones coyunturales. 

AD: ¿Cómo fue su ida a Londres en el ‘66? 

Cuando me echaron de Mendoza, la Organización Panamericana de la Salud me dio una beca, como una forma de reivindicación por lo injusto que había sido todo. Era una forma de que yo me fuera bien de Mendoza. Y elegí la Tavistock Clinic, y tomé contacto con el grupo kleiniano. Le pedí hora a Hanna Segal, que no me dio y me mandó con Meltzer. Lo más importante de ese año, para mí, fue el análisis con Meltzer y los seminarios de Betty Joseph, de Esther Bick y de Money-Kyrle, quien fue después una figura muy importante en mi vida. Él sigue la línea de los instintos y de la etología, pero más que Bion. Yo me siento más ligado a él que a Bion, por ese anclaje en la biología y en la etología. Él dice al final de su vida que su intención es conectar el psicoanálisis con la etología, cosa que por otra parte yo también he hecho. Tengo una admiración muy muy grande por Money-Kyrle.

AD: ¿Y su análisis con Meltzer fue en inglés?

Sí, fue en inglés, pero él me ayudó mucho. En realidad, el lenguaje del inconsciente, a nivel del proceso primario, tal vez se dé mejor cuando uno habla mal el idioma que cuando lo habla bien... Yo creo que, por mérito de Meltzer, no me resultó muy difícil analizarme en inglés. Pero mi relación con el inglés ha sido siempre la de un amante frustrado, porque yo tengo un amor y una admiración enormes por el inglés, pero nunca llegué a apropiarme de ese idioma. Siempre digo que si hubiera estudiado psicoanálisis como estudié inglés, sería un sabio.

Les psychanalystes ont contribué à leur propre déclin 
Elisabeth Roudinesco  (Le  Monde du 8 février 2019)

Depuis la mort de Jacques Lacan, en 1981, dernier grand penseur du freudisme, la situation de la psychanalyse s’est modifiée en France. Dans l’opinion publique, on ne parle plus que des psys. Autrement dit, le terme de psychanalyse employé par ­Sigmund Freud en 1896 pour désigner une méthode de cure par la parole centrée sur l’exploration de l’inconscient, et qui, par extension, a donné naissance à une discipline, n’est plus guère différencié d’un ensemble constitué, d’une part, par la psychiatrie (branche de la médecine spécialisée dans l’approche des maladies de l’âme) et, de l’autre, par la psychologie enseignée à l’université (clinique, expérimentale, cognitive, comportementale, sociale, etc.).

Quant au terme de psychothérapie – traitement fondé sur la puissance du transfert – il est commun à la psychiatrie, à la psychologie clinique et à la psychanalyse. Les écoles de psychothérapie, qui s’en réclament, se sont développées, tout au long du XXe siècle, en de multiples appellations : de 400 à 700 dans le monde. Parmi celles-ci : hypnothérapie, ­Gestalt-thérapie, analyse relationnelle, thérapies comportementales et cognitives (TCC), développement personnel, méditation, etc. On en trouve périodiquement la liste dans les revues de psychologie. Leur caractéristique est de prétendre apporter le bonheur aux personnes en souffrance.

 Souffrances

Soumis à une réglementation depuis mai 2010, les praticiens de ces écoles sont aujourd’hui contraints d’obtenir un diplôme universitaire (master de psychologie clinique) pour utiliser le titre de psychothérapeute. Si ce n’est pas le cas, ils se désignent comme « psycho-praticiens hors cadre ».

Il y a aujourd’hui en France 13 500 psychiatres, 27 000 psychologues cliniciens et environ 5 500 psychanalystes, presque tous titulaires d’un diplôme de psychologue clinicien. Le titre de psychanalyste n’étant pas réglementé, seules les écoles psychanalytiques (régies par la loi de 1901) peuvent se prévaloir d’une formation qui repose sur deux critères : avoir été soi-même analysé puis supervisé par un pair pour mener des cures.

D’après plusieurs statistiques, 4 millions de Français sont en état de souffrance psychique mais seulement un tiers d’entre eux – dont 70 % de femmes – viennent consulter un psy. De nouvelles définitions ont surgi pour qualifier le malaise qui accompagne la crise des ­sociétés démocratiques, minées par la précarité, l’inégalité sociale ou la désillusion : ­dépression, anxiété, stress, burn-out, troubles du déficit de l’attention, TOC, désordres bipolaires ou borderline, dysphories, addictions, etc. Ces termes englobent ce qu’on appelait autrefois les psychoses (folie), les névroses (hystérie et autres variantes), les variations de l’humeur (mélancolie), les perversions. Aussi bien ces souffrances sont-elles désormais traitées par des psychotropes prescrits autant par des psychiatres que par des généralistes : anxiolytiques, antidépresseurs, neuroleptiques, consommés de façon extravagante.

Dominée par la psychopharmacologie, la psychiatrie – puissante dans tous les Centres hospitalo-universitaires (CHU) – n’a plus l’aura qu’elle avait par le passé puisqu’elle a abandonné l’approche plurielle et dynamique de la subjectivité – psychique, sociale, biologique – au profit d’une pratique reposant sur une description des symptômes : réduction de la pensée à une activité neuronale, du sujet à un comportement et du désir à un taux de sérotonine. En témoignent les différentes ­versions du Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM)  qui annexe comme pathologie la condition humaine elle-même : timidité, peur de mourir, crainte de perdre un travail ou un proche, etc. On ne compte plus le nombre de collectifs qui, à coups de pétitions, contestent ce Manuel et réclament, comme dans le Manifeste pour un printemps de la psychiatrie, publié dans L’Humanité le 22 janvier, un retour à une psychiatrie dite « humaniste ».

Au cœur de ce dispositif, la psychanalyse est entrée dans une interminable phase de déclin. Elle n’est plus portée par le savoir psychiatrique et n’occupe plus la place qui avait été la sienne en France dans la culture littéraire et philosophique depuis les surréalistes jusqu’aux structuralistes en passant par les marxistes et les phénoménologues. Les ouvrages des praticiens sont rédigés dans un idiome peu compréhensible. Destinés à ­l’entre-soi, ils ne dépassent pas un tirage de 700 exemplaires. En conséquence, les éditeurs de littérature générale ont fermé ou ­réduit à la portion congrue les collections de psychanalyse qui avaient fleuri pendant trente ans : Seuil, Gallimard, Aubier, Presses universitaires de France, Payot.

Les classiques – Freud, Melanie Klein, Sandor Ferenczi, Winnicott, Lacan, Dolto, etc. –, diffusés en poche, continuent à se vendre de façon régulière. Du coup – et à quelques exceptions près – la production contemporaine s’est réfugiée chez Erès, maison d’édition toulousaine, fondée en 1980 et dont les ouvrages et les revues – diffusés à moins de 500 exemplaires – s’adressent à un public de professionnels de la santé mentale, de la pédagogie, de la petite enfance. Aussi bien les psychanalystes sont-ils regardés, désormais, non pas comme des auteurs ou des intellectuels, mais comme des travailleurs de la santé mentale.

Répartis en dix-neuf associations où les femmes sont majoritaires, les psychanalystes forment un archipel de communautés qui, bien souvent, s’ignorent entre elles. Ils organisent des colloques, apprécient la vie associative, aiment voyager et vouent une vraie passion à leur métier. L’écart entre les générations s’est accentué au point que toute la clientèle privée est captée par les seniors, âgés de 60 à 85 ans, au détriment des jeunes (30-40 ans) qui travaillent pour de bas salaires, dans des institutions de soins (centres médico-psychologiques, centres médico-psychopédagogiques, hôpitaux de jour, etc.)

Ces derniers ont de grandes difficultés à financer leur cure. Pour se faire connaître du public, ils créent des sites avec photographies de leurs divans et de leurs fauteuils, prix négociables et liste des thérapies possibles. La clientèle se fait rare : la psychanalyse attire de moins en moins de patients. Mais, paradoxalement, l’attrait pour son histoire, pour ses ­archives et pour ses acteurs est en hausse, comme si la culture freudienne était devenue un objet muséographique au détriment de sa pratique clinique.

Les plus puissantes associations – entre 200 et 800 membres – sont divisées en trois branches : une première (dite freudienne orthodoxe) groupée autour de la Société psychanalytique de Paris (fondée en 1926), une deuxième où se retrouvent toutes les obédiences strictement lacaniennes (créées entre 1981 et 1994) et une troisième, éclectique (1994-2000), qui rassemble toutes les tendances du freudisme.

Attaqués de toutes parts pour leur dogmatisme et leur difficulté à modifier leurs cursus de formation, les psychanalystes ont en outre contribué à leur propre déclin en adoptant majoritairement, depuis 1999, des positions indignes contre le mariage homosexuel, puis en s’affaiblissant dans des querelles interminables sur l’autisme. Humiliés par le succès des immondes brûlots contre Freud, ils ont déserté les batailles publiques, méprisant toute entreprise qui chercherait à les critiquer.

Auteur d’une enquête sur L’Autodestruction du mouvement psychanalytique (Gallimard, 2014), Sébastien Dupont en a fait les frais : « Dès qu’on émet une critique, on tombe sous le joug d’un chantage à l’antifreudisme. » Enfin, nombre de psychanalystes se livrent périodiquement, dans des médias de mauvais goût, à leur sport favori : allonger sur le divan les hommes politiques. Emmanuel Macron est désormais leur cible préférée : « Il n’a pas résolu son œdipe, il a épousé sa mère, il n’a pas de surmoi, il est narcissique. »

Territoire

 Pendant des décennies, la psychanalyse a été enseignée dans des départements de psychologie au titre d’une approche psychopathologique du psychisme. Attaché à un enseignement de la discipline hors des écoles psychanalytiques, Roland Gori, aidé par Pierre Fédida (1934-2002), a occupé, jusqu’en 2009, une place majeure dans la formation des cliniciens d’orientation freudienne, notamment par le recrutement d’enseignants-chercheurs au sein de la 16e section du Conseil national des universités (CNU). Hélas, ses héritiers n’ont pas réussi, comme lui, à se faire respecter par leurs adversaires, lesquels veulent ­désormais les chasser de leur territoire, au nom d’une prétendue supériorité scientifique de la psychologie. Et ils profitent de la prochaine fusion entre Paris V-Descartes et Paris VII-Diderot  pour agir en ce sens


C’est ainsi que l’UFR d’Etudes psychanalytiques de Paris VII-Diderot, immense bastion freudien fondé en 1971 – 36 titulaires, 270 doctorants, de nombreux chargés de cours, 2 000 étudiants – est désormais menacée de disparition. Trois professeurs de la 16e section du CNU ont démissionné de leur poste en ­affirmant que plus aucune approche dynamique et humaniste n’était possible dans le ­cadre d’une évolution scientiste de la psychologie (lettre du 21 décembre 2018). Une fois encore, un collectif a dénoncé une tentative de meurtre de la psychanalyse. Une fois encore, des appels au sauvetage se multiplient.

 Ne pas désespérer

Il faut dire que si les enseignements cliniques de Paris-VII sont d’un excellent niveau et que des colloques obtiennent un franc ­succès – comme les EG-psy-radicalisation sur le djihadisme (8 novembre  2018) – il n’en va pas de même des tentatives de « modernisation » de la psychanalyse à coups de « queer » et de « décolonial ». Comment ne pas se tordre de rire à l’annonce d’un tel programme (15 décembre 2017) ? : « Si donc la psychanalyse se positionne comme l’envers de la raison ­cartésienne (…) dans quelle mesure saisit-elle l’ethnocentricité de ses propres outils ? » Ou encore : « Qu’apporte la considération du genre et de la colonialité à la psychanalyse, dans sa conception des rapports de minorisation et d’altérisation ? »

Il ne faut pourtant pas désespérer quand on sait que des milliers de cliniciens français, formés dans le sérail d’un freudisme intelligent, consacrent leur temps à soigner des enfants en détresse, des malades mentaux en perdition ou des familles meurtries.

San Francisco Declaration

on Research Assessment

Ce texte qui vient du monde scientifique est issu de l' American Society for Cell Biology et d'un groupe d'éditeurs de revues savantes. Il dessine de nouvelles conditions de l'évaluation universitaire et éditoriale. On  observera que ce texte met en cause de manière radicale les procédures d'évaluation d'aujourd'hui telles celles fondées sur le trop fameux Journal Impact Factors. 

On pourra bien sûr rapprocher cette évolution des esprits en Amérique du Nord des débats récents qui ont mis en cause le DSM 5 (cf à ce sujet le bulletin du 19 mai).

Enfin les amateurs de "Witz" ne manqueront pas d'observer  que l'acronyme de cette déclaration est... DORA !

oooOooo

 

The San Francisco Declaration on Research Assessment (DORA), initiated by the American Society for Cell Biology (ASCB) together with a group of editors and publishers of scholarly journals, recognizes the need to improve the ways in which the outputs of scientific research are evaluated. The group met in December 2012 during the ASCB Annual Meeting in San Francisco and subsequently circulated a draft declaration among various stakeholders. DORA as it now stands has benefited from input by many of the original signers listed below. It is a worldwide initiative covering all scholarly disciplines. We encourage individuals and organizations who are concerned about the appropriate assessment of scientific research to sign DORA.

 

 San Francisco Declaration on Research Assessment

 

Putting science into the assessment of research

There is a pressing need to improve the ways in which the output of scientific research is evaluated by funding agencies, academic institutions, and other parties.

To address this issue, a group of editors and publishers of scholarly journals met during the Annual Meeting of The American Society for Cell Biology (ASCB) in San Francisco, CA, on December 16, 2012. The group developed a set of recommendations, referred to as the San Francisco Declaration on Research Assessment. We invite interested parties across all scientific disciplines to indicate their support by adding their names to this Declaration.

The outputs from scientific research are many and varied, including: research articles reporting new knowledge, data, reagents, and software; intellectual property; and highly trained young scientists. Funding agencies, institutions that employ scientists, and scientists themselves, all have a desire, and need, to assess the quality and impact of scientific outputs. It is thus imperative that scientific output is measured accurately and evaluated wisely.

The Journal Impact Factor is frequently used as the primary parameter with which to compare the scientific output of individuals and institutions. The Journal Impact Factor, as calculated by Thomson Reuters, was originally created as a tool to help librarians identify journals to purchase, not as a measure of the scientific quality of research in an article. With that in mind, it is critical to understand that the Journal Impact Factor has a number of well-documented deficiencies as a tool for research assessment. These limitations include: A) citation distributions within journals are highly skewed [1–3]; B) the properties of the Journal Impact Factor are field-specific: it is a composite of multiple, highly diverse article types, including primary research papers and reviews [1, 4]; C) Journal Impact Factors can be manipulated (or "gamed") by editorial policy [5]; and D) data used to calculate the Journal Impact Factors are neither transparent nor openly available to the public [4, 6, 7].

Below we make a number of recommendations for improving the way in which the quality of research output is evaluated. Outputs other than research articles will grow in importance in assessing research effectiveness in the future, but the peer-reviewed research paper will remain a central research output that informs research assessment. Our recommendations therefore focus primarily on practices relating to research articles published in peer-reviewed journals but can and should be extended by recognizing additional products, such as datasets, as important research outputs. These recommendations are aimed at funding agencies, academic institutions, journals, organizations that supply metrics, and individual researchers.

A number of themes run through these recommendations:

the need to eliminate the use of journal-based metrics, such as Journal Impact Factors, in funding, appointment, and promotion considerations;

the need to assess research on its own merits rather than on the basis of the journal in which the research is published; and

the need to capitalize on the opportunities provided by online publication (such as relaxing unnecessary limits on the number of words, figures, and references in articles, and exploring new indicators of significance and impact).

We recognize that many funding agencies, institutions, publishers, and researchers are already encouraging improved practices in research assessment. Such steps are beginning to increase the momentum toward more sophisticated and meaningful approaches to research evaluation that can now be built upon and adopted by all of the key constituencies involved.

The signatories of the San Francisco Declaration on Research Assessment support the adoption of the following practices in research assessment.

General Recommendation

1. Do not use journal-based metrics, such as Journal Impact Factors, as a surrogate measure of the quality of individual research articles, to assess an individual scientist's contributions, or in hiring, promotion, or funding decisions.

For funding agencies

2. Be explicit about the criteria used in evaluating the scientific productivity of grant applicants and clearly highlight, especially for early-stage investigators, that the scientific content of a paper is much more important than publication metrics or the identity of the journal in which it was published.

3. For the purposes of research assessment, consider the value and impact of all research outputs (including datasets and software) in addition to research publications, and consider a broad range of impact measures including qualitative indicators of research impact, such as influence on policy and practice.

For institutions

4. Be explicit about the criteria used to reach hiring, tenure, and promotion decisions, clearly highlighting, especially for early-stage investigators, that the scientific content of a paper is much more important than publication metrics or the identity of the journal in which it was published.

5. For the purposes of research assessment, consider the value and impact of all research outputs (including datasets and software) in addition to research publications, and consider a broad range of impact measures including qualitative indicators of research impact, such as influence on policy and practice.

For publishers

6. Greatly reduce emphasis on the journal impact factor as a promotional tool, ideally by ceasing to promote the impact factor or by presenting the metric in the context of a variety of journal-based metrics (e.g., 5-year impact factor, EigenFactor [8], SCImago [9], h-index, editorial and publication times, etc.) that provide a richer view of journal performance.

7. Make available a range of article-level metrics to encourage a shift toward assessment based on the scientific content of an article rather than publication metrics of the journal in which it was published.

8. Encourage responsible authorship practices and the provision of information about the specific contributions of each author.

9. Whether a journal is open-access or subscription-based, remove all reuse limitations on reference lists in research articles and make them available under the Creative Commons Public Domain Dedication [10].

10. Remove or reduce the constraints on the number of references in research articles, and, where appropriate, mandate the citation of primary literature in favor of reviews in order to give credit to the group(s) who first reported a finding.

For organizations that supply metrics

11. Be open and transparent by providing data and methods used to calculate all metrics.

12. Provide the data under a licence that allows unrestricted reuse, and provide computational access to data, where possible.

13. Be clear that inappropriate manipulation of metrics will not be tolerated; be explicit about what constitutes inappropriate manipulation and what measures will be taken to combat this.

14. Account for the variation in article types (e.g., reviews versus research articles), and in different subject areas when metrics are used, aggregated, or compared.

For researchers

15. When involved in committees making decisions about funding, hiring, tenure, or promotion, make assessments based on scientific content rather than publication metrics.

16. Wherever appropriate, cite primary literature in which observations are first reported rather than reviews in order to give credit where credit is due.

17. Use a range of article metrics and indicators on personal/supporting statements, as evidence of the impact of individual published articles and other research outputs [11].

18. Challenge research assessment practices that rely inappropriately on Journal Impact Factors and promote and teach best practice that focuses on the value and influence of specific research outputs.

 

References

Adler, R., Ewing, J., and Taylor, P. (2008) Citation statistics. A report from the International Mathematical Union

Seglen, P.O. (1997) Why the impact factor of journals should not be used for evaluating research. BMJ 314, 498–502.

Editorial (2005). Not so deep impact. Nature 435, 1003–1004.

Vanclay, J.K. (2012) Impact Factor: Outdated artefact or stepping-stone to journal certification. Scientometrics 92, 211–238.

The PLoS Medicine Editors (2006). The impact factor game. PLoS Med 3(6): e291 doi:10.1371/journal.pmed.0030291.

Rossner, M., Van Epps, H., Hill, E. (2007). Show me the data. J. Cell Biol. 179, 1091–1092.

Rossner M., Van Epps H., and Hill E. (2008). Irreproducible results: A response to Thomson Scientific. J. Cell Biol. 180, 254–255.

 Liens

The eigenfactor.org

The SCImago Journal & Country Rank

Open Citations and Related Work 

Almetrics tools

La psychanalyse, entre débats et procès

 Thierry  Savatier (2 avril 2013)

Il fut un temps où les querelles intellectuelles avaient du panache. Les controverses se réglaient par articles interposés, joutes oratoires ou publication d’essais. Cette manière « civilisée » de porter sur la place publique les différends conceptuels, de détail ou parfois plus personnels, n’excluait aucunement la passion, voire les argumentations musclées ; mais ces échanges reflétaient la liberté d’expression qui devrait normalement animer toute démocratie. Or, aujourd’hui, cette liberté est mise à mal à chaque fois qu’au forum se substituent les prétoires.

La judiciarisation de la société s’étend désormais au débat d’idées sous les prétextes les plus futiles. Faut-il y voir la transposition, dans l’intelligentsia, de cette « envie de pénal » qu’avait théorisée Philippe Muray ? La réalité est sans doute plus subtile, mais aussi plus perverse. En effet, l’arsenal juridique, lorsque son objet est dévoyé de ses intentions premières, sert moins à obtenir des sanctions pénales que des compensations pécuniaires. Pire encore, les demandeurs, lorsqu’ils en ont les moyens financiers, assignent à l’envi (même s’ils sont conscients qu’ils seront déboutés devant la faiblesse de leurs accusations) tous les intrépides qui n’ont pas l’heur de leur plaire. Leur but réel n’est en effet pas tant de gagner un procès que de museler toute expression contraire à leur opinion en asséchant financièrement leurs adversaires. Car la Justice coûte cher aux assignés, en déficit d’image parfois, en honoraires d’avocat toujours.

Les groupuscules puritains, rebaptisés « association familiale », sont passés maîtres dans cet art de censurer sans le dire, en attaquant pour « pornographie » créateurs et commissaires d’exposition dès que le sujet traite d’érotisme, afin de les dissuader d’organiser de nouvelles initiatives. Dans le domaine des idées, on se demande si d’autres ne tenteraient pas de suivre cette voie. La psychanalyse, par exemple, est devenue aujourd’hui le théâtre d’assignations à répétition. Il y eut le procès intenté par Judith Miller à Elisabeth Roudinesco pour un court passage de son essai Lacan envers et contre tout (dont il fut question dans ces colonnes, suivi d’un autre, intenté par trois psychanalystes de l’Ecole de la cause freudienne présidée par Jacques-Alain Miller, contre Sophie Robert, auteure d’un documentaire sur l’autisme intitulé Le Mur. Aujourd’hui, une nouvelle assignation pour « diffamation publique », cette fois diligentée par Jacques-Alain Miller, vise Elisabeth Roudinesco, Henri Roudier et Philippe Grauer, tous membres d’une société savante respectée (Société Internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse, SIHPP), suite à la publication d'articles dans leur bulletin et sur le site internet du CIFP (Centre Interdisciplinaire à la Formation de la Psychothérapie relationnelle). Pour comprendre le sens de cette assignation, il convient de la replacer dans son contexte.

Le 5 février dernier, une pétition fut lancée par M. Miller (et l’inévitable Bernard-Henri Lévy…), appelant à la « libération » de la psychanalyste iranienne Mitra Kadivar, admise le 24 décembre précédant dans un établissement psychiatrique de Téhéran. Cet appel fut relayé par des articles de presse et des interviews où cet enfermement était présenté comme une sanction politique du pouvoir théocratique iranien à l’encontre d’une thérapeute gênante ; il y était question de traitement forcé, voire de la menace d’électrochocs ; quant aux psychiatres (pourtant laïcs), ils semblaient s’apparenter à de simples geôliers à la solde du pouvoir. Le sombre souvenir des internements psychiatriques de l’époque soviétique pouvait à bon droit émouvoir le monde intellectuel. Et l’ombre d’Antonin Artaud planait sur l’assimilation (fallacieuse) de la sismothérapie à une torture. C’est pourquoi, outre les habituels signataires compulsifs qui ne résistent jamais à apposer leur paraphe dès qu’ils sont sollicités pour avoir l’illusion d’exister, de nombreuses personnalités de bonne foi signèrent cette pétition où l’on retrouve Philippe Sollers et Julia Kristeva, mais aussi, pour une fois côte à côte, Jean-François Copé et Jean-Luc Mélenchon.

D’autres intellectuels, d’autant plus appelés à se joindre à cette initiative qu’ils avaient déjà lutté dans le passé contre des internements abusifs, préférèrent se renseigner avant de se prononcer. Sage décision apparemment, car il résulte de plusieurs témoignages sérieux et concordants que le docteur Kadivar ne fut pas victime d’une sanction politique, mais d’une hospitalisation consécutive aux plaintes des voisins de son immeuble, et relative à un épisode psychotique qui motiva une décision de justice. Plusieurs psychanalystes et psychothérapeutes iraniens confirmèrent ces faits et les griefs (agressivité verbale, problèmes d’hygiène, nuisances phoniques, pneus de voitures de voisins crevés, etc.) d’un voisinage déjà inquiet du projet annoncé par Mitra Kadivar d’ouvrir un centre pour toxicomanes à son domicile.

Pour justifier le bien fondé de sa pétition, Jacques-Alain Miller a publié l’ensemble de sa correspondance avec la psychanalyste iranienne et d’autres interlocuteurs, dont le psychiatre qui la soignait à l’hôpital. Ce document de 68 pages, écrit en français et dans un anglais parfois de cuisine, peine toutefois à prouver la réalité d’un internement politique. Tout commence le 12 décembre 2012, par un courriel de Mitra Kadivar à Jacques-Alain Miller, l’informant du projet de l’envoyer dans un hôpital psychiatrique sur décision d’un magistrat. L’échange se poursuit jusqu’au 24 décembre, date de l’hospitalisation. Il résulte du reste du dossier que la patiente bénéficia d’égards particuliers : une chambre VIP, un accès à Internet, le loisir de communiquer vers l’extérieur par téléphone et courriel, enfin les visites quasi quotidiennes d’amis. Rien, dans ces informations, ne trahit un enfermement arbitraire, lequel, comme à l’époque soviétique, se caractérise toujours par l’isolement de la personne visée. Quant aux électrochocs, ils ne sont évoqués dans un courriel qu’à travers une « crainte » exprimée par la patiente, aucunement comme une proposition de ses médecins ni, naturellement, comme une menace.

Par ailleurs, la lecture des courriels apporte un éclairage surprenant sur la personnalité de la psychanalyste, laquelle refuse que son cas soit évalué par des psychiatres – leur préférant « un psychanalyste de rang supérieur » – et crie au complot dirigé contre elle. Complot de ses voisins, non de l’Etat. Elle dit d’ailleurs avoir obtenu l’aide du « ministère de l’Intelligence » (ministère de la sécurité nationale et du renseignement) afin d’ajourner son internement, ce qui, pour le premier observateur venu, discrédite sans ambigüité la version d’une sanction politique puisque les services de renseignement iraniens sont directement placés sous l’autorité des plus hautes instances du Gouvernement.

En outre, le 21 décembre, le docteur Kadivar s’emporte sans raison apparente et dévoile une étonnante mégalomanie : « Et surtout ne me comparez pas avec Rafah Nached que vous avez élevée au rang de psychanalyste en une nuit, s’il vous plaît. Depuis la mer Noire jusqu’à la mer de Chine, je suis la seule et vous le savez mieux que personne. » Sur le premier point, l’intéressée a raison : Rafah Nached fut arrêtée, inculpée sans fondement d’« activités susceptibles d’entraîner une déstabilisation de l’Etat » et jetée en prison dans une cellule commune qu’elle partageait avec une trentaine d’autres femmes en septembre 2011. Elle ne fut libérée sous caution dans le cadre d’une « amnistie » qu’au bout de deux mois. Les deux cas n’ont donc rien de comparable. Le Quai d’Orsay ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisqu’il intervint pour demander la libération de la psychanalyste syrienne, mais (sans doute bien renseigné) refusa de s’impliquer dans l’affaire Kadivar. Quant au second point, il révèle un narcissisme que confirmeront d’autres courriels, desquels il ressort que Mitra Kadivar ne reconnaît aucune compétence aux médecins et psychiatres chargés de la soigner, qu’elle traite parfois de « crétins » ou de « vipère » et qui ne sont pas, précise-t-elle, « de son niveau ».

Dans un tel contexte, il faut reconnaître à Jacques-Alain Miller un certain flegme dans ses échanges épistolaire houleux avec son « e-patiente » parfois imprévisible et souvent ombrageuse, même si, entre deux conseils prodigués à son psychiatre iranien, il affirme qu’il « l’adore » avant de la comparer à Médée, à Lacan et… De Gaulle ! Une fois, pourtant, il se gendarme : « Now stop your games. La coupe est pleine. Le mail de ce matin, venant après une série d’autres, est à la fois une sottise et une provocation. […] Vous n’abuserez pas davantage de ma patience. Je ne répondrai à aucun message de vous, direct ou indirect, durant trois mois, jusqu’au 31 mars prochain. Passé ce délai, si vous persistiez, je romprais toute relation. »

A l’examen de ces documents, on peine à croire que cette hospitalisation ait reposé sur un mobile autre que médical. Il n’y a d’ailleurs rien d’infamant à souffrir momentanément de troubles psychiatriques dont les psychanalystes ne sont pas plus à l’abri que le commun des mortels. On pourrait même considérer que cette mesure visait à protéger le docteur Kadivar de son environnement. En effet, l’Iran est un pays de culture communautaire (au sens que donne à cette notion le psychologue néerlandais Geert Hofstede, spécialiste de l’interculturalité). Or, contrairement aux cultures individualistes européennes, dans les cultures communautaires, l’individu n’existe ni par ni pour lui-même ; il ne doit exister qu’en tant que membre du groupe social au sein duquel il vit. Son souci premier sera de renoncer à ses désirs si ceux-ci ne s’inscrivent pas dans le corpus des règles normatives de la société, chacun étant soumis au regard et au jugement des autres. Toute contravention à ce cadre contraignant est considérée comme une déviance et sanctionnée par la réprobation de la communauté, chacun se sentant investi du pouvoir d’agir afin de faire respecter l’ordre social menacé, dans l’intérêt supposé de tous. La sanction peut aller jusqu’au bannissement de l’individu, mais elle peut revêtir des formes plus radicales lorsqu’une religion intégriste vient se superposer aux simples traditions patriarcales. Tel est le cas dans la théocratie iranienne, a fortiori parce que le partage des rôles entre hommes et femmes y est basé sur une asymétrie qui hiérarchise strictement les deux sexes. En d’autres termes, les comportements de Mitra Kadivar, qui relevaient selon toute vraisemblance du trouble à l’ordre public, auraient sans doute pu lui valoir la prison, voire des sévices corporels. On peut ainsi raisonnablement penser que l’obligation de soins dans un établissement spécialisé (dont elle sortit d’ailleurs dans des conditions normales le 14 février) permit de la soustraire à de telles mesures de rétorsion. Cette dimension de la culture iranienne ne peut être négligée au profit d’une vision purement occidentalocentrée, car elle permet d’évaluer tout autrement le contexte de l’affaire.

Il n’est donc pas avéré que la pétition demandant la « libération » de la psychanalyste ait reposé sur une réalité de fait, ce qu’ignoraient la plupart des 4500 signataires. En revanche, le mieux étant, suivant l’adage, l’ennemi du bien, elle aura eu pour effet d’attirer, à grands renforts médiatiques, l’attention du pouvoir de Téhéran sur une profession tout juste tolérée et de réputation forcément sulfureuse aux yeux des religieux, avec le risque de fragiliser la situation des praticiens locaux.

Les articles publiés dans le bulletin de la SIHPP alertaient l’opinion sur l’ensemble de ces questions. Leurs rédacteurs choisirent pour l’occasion de faire appel à l’ironie, figure stylistique dont Sacha Guitry nous a appris avec sagesse que la redouter, c’était craindre la raison… On peut ainsi y lire que M. Miller s’adresse à sa correspondante « sur un mode maniaque » et qu’il « se fâche tout rouge » ; il y est aussi question d’une « cure par mails façon lacano-Miller », de « miracles politico-cliniques », de « personnalités prises au piège » d’une pétition douteuse.

De là à considérer que ces textes ne relèvent pas de la simple joute intellectuelle dans un cadre démocratique, mais forment les éléments constitutifs d’une diffamation publique, il y a un pas qu’il serait aléatoire de franchir. Car l’ironie instaure un effet de distanciation qui ne saurait échapper au lecteur, tandis que l’injure simple se passe de tout écran, de toute intention humoristique. Ainsi, à titre comparatif, lorsque, le 7 mars dernier, dans un article de son blog hébergé par La Règle du jeu, M. Miller compare Elisabeth Roudinesco à une « matrone », une « plaie », un « cilice », une « grenouille » et – la pire injure de toutes, à n’en pas douter ! – la traite d’« autodidacte », on cherche l’ironie, voire l’expression d’un second degré.

Le rédacteur y qualifie enfin l’historienne de la psychanalyse de « sauvage ». Mais, ce faisant, il nous invite à un intéressant exercice de questionnement. En effet, dans un courriel adressé à Mitra Kadivar, l’auteur avait écrit : « Vous êtes en train de les [les psychiatres] manger tout cru. / Vous savez, tout de même, la civilisation, c’est le cuit, nous a expliqué Lévi-Strauss. Vous, vous êtes une sauvage. / Qui ne renonce à rien, jamais. Quel que soit le risque. / Une femme décidée, quoi ! Une vraie femme. »

Or, dans l’article de son blog, on relève la phrase suivante : « Le cru et le cuit : parmi les civilisés, elle [Elisabeth Roudinesco] reste une sauvage. Elle fait peur. » Et le lecteur de se demander : entre ces deux propos, tenus à un mois d’intervalle, les deux signifiants ont-ils la même valeur ? Pourquoi l’un serait-il laudatif et l’autre péjoratif ? Voilà le genre d’exercice acrobatique auquel doivent se livrer les juges du fond lorsqu’ils recherchent d’éventuelles traces de diffamation dans un discours. Voilà surtout qui rappelle cette note d’Amine Azar décrivant une conférence donnée par Jacques Lacan à Beyrouth, en août 1973 : « Du Signifiant : Avec les mêmes mots, strictement les mêmes, décrire un tremblement de terre et une soirée mondaine

Illustrations : Dessins de Roland Topor.

DOSSIER DSM V.

Mai 2013

On trouvera ci-dessous un rappel  des enjeux qui se dessinent dans la dernière édition du DSM autour  de la nouvelle définition générale du trouble de personnalité. Ils font référence à ce que l'APA avait mis en ligne en 2010 (Certains points ont pu être modifiés).

On observera que nombreuses et virulentes sont les critiques qui se font entendre en Amérique du Nord. En déduire que ces critiques  seraient favorables à la psychiatrie dynamique et à la psychanalyse serait cependant bien aléatoire. Car elles viennent de deux champs dont les préoccupations et les intérêts sont différents et en recoupent pas nécessairement ceux de la psychanalyse et de la psychiatrie classique : le DSM5 apparait ainsi pris entre deux feux ; celui de la génétique et des neurosciences (la Science pour aller vite) et celui des sciences sociales. On peut se demander si ces critiques ne sont pas  plutôt, au moins d'un côté,  le reflet  d'une société qui accepterait moins facilement qu'on ne le croit les 'injonctions comportementales à visée thérapeutique".

On a donné d'abord une présentation des règles qui semblent avoir guidé les auteurs de cette dernière version du DSM, (règles établies par l'APA).

Suivent  des liens donnant accès à quelques articles qui mettent en lumière  bien les lignes "stratégiques" qui se dessinent dans ce champ stratégique. (Cliquer sur les titres pour y avoir accès dans une nouvelle fenêtre)

On pourra également se référer aux ouvrages suivants :


Stuart Kirk, Herb Kutchins : The selling of DSM : the rhetoric of science in psychiatry ( New York : Aldine de Gruyter, 1992) — Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine. (Les empêcheurs de penser en rond 1998)

Christopher Lane : Shyness: How Normal Behavior Became a Sickness (Yale University Press, 2007) — Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisés nos émotions (Flammarion, 2009)

Ouvrage collectif. Jean Garrabé, Bernard Golse, Roger Misès et autres : Pour en finir avec le carcan du DSM - Pour une clinique du sujet,  (Erès 2011) 

Patrick Landman :Tristesse Business - Le scandale du DSM 5 (Ed Milo)


oooOooo

Présentation

 La publication du DSM-V, la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM) est prévue pour mai 2013. L'American Psychiatric Association (APA) a rendu publique le 10 février 2010, sur son site internet, une version préliminaire des critères pour les différents diagnostics psychiatriques. Une "reconceptualisation majeure" des troubles de la personnalité est proposée: la définition générale de ces troubles est modifiée, les troubles spécifiques sont regroupés sous 5 types plutôt que les dix troubles actuels et la structure des critères des troubles spécifiques est considérablement modifiée.
Voici les critères diagnostiques de la nouvelle définition générale du trouble de personnalité
Les troubles de la personnalité représentent une incapacité de développer un sentiment d'identité et un fonctionnement interpersonnel qui sont adaptatifs dans le contexte des normes et attentes culturelles de la personne.
A. Un échec d'adaptation qui se manifeste dans un ou les deux domaines suivants:
1. Déficience du sens de sa propre identité comme manifesté dans un ou plus des domaines suivants:
i. Intégration de l'identité. Notion de soi ou une identité faiblement intégrée (ex. un sens limité d'unité personnelle et de continuité; ressentir des états de soi changeants; croire que le soi présenté aux autres est une façade).
ii. Intégrité du concept de soi. Notion de soi ou identité appauvrie et peu différenciée (ex. difficulté à identifier et décrire des attributs personnels; sentiment de vide intérieur; limites interpersonnelles peu délimitées; définition de soi qui change avec le contexte social)
iii. Direction personnelle (self-directedness). Peu de direction personnelle (ex. incapacité d'établir et d'atteindre des buts satisfaisants; manque de direction, de sens et de but à la vie)
2. Incapacité de développer un fonctionnement interpersonnel efficace comme manifesté dans un ou plus des domaines suivants:
i. Empathie. Capacité altérée d'empathie et de réflexion (ex. trouver difficile de comprendre les états mentaux des autres)
ii. Intimité. Capacité altérée de relations intimes (ex. incapable d'établir et de maintenir des relations proches et intimes; incapacité de fonctionner comme une figure d'attachement véritable; incapacité d'établir ou de maintenir des amitiés)
iii. Coopération. Échec à développer la capacité de comportement prosocial (ex. échec du développement de la capacité de comportements moraux socialement typiques, absence d'altruisme)
iv. Complexité et intégration de la représentation des autres. Représentations des autres peu intégrées (ex. formee des images distinctes et peu reliées de personnes signifiantes)
B. L'échec d'adaptation est associé à des niveaux extrêmes d'un ou plusieurs traits de personnalité.
C. L'échec d'adaptation est relativement stable à travers le temps et consistant à travers les situations avec un début qui peut être retracé au moins à l'adolescence.
D. L'échec d'adaptation n'est pas seulement expliqué comme une manifestation ou une conséquence d'un autre trouble mental.
E. L'échec d'adaptation n'est pas seulement dû aux effets physiologiques directs d'une substance (ex. une drogue prêtant à abus, un médicament) ou une condition médicale générale (ex. un traumatisme crânien sévère).
Cinq niveaux de sévérité de fonctionnement sont associés à chacun de ces domaines.
Pour ce qui est des troubles de la personnalité spécifiques, les types suivants sont proposés : antisocial / psychopathe, évitant, borderline (limite), obsessionnel-compulsif et schizotypique.
Les critères de ces troubles spécifiques ont une structure très différente, beaucoup plus complexe, que celle du DSM IV. Elle tient compte du niveau de fonctionnement dans les domaines décrits ci haut associés à la définition générale, de la présence et la sévérité de traits spécifiques à chaque type
et de la présence et la sévérité de 6 traits plus généraux (émotivité négative, introversion, antagonisme, désinhibition, compulsivité et schizotypie).
Le DSM-V est encore en développement et les révisions proposées ne sont pas finales, précise Alan Schatzberg, président de l'APA. Les critères proposés sont soumis aux critiques du public et ils seront revus et raffinés au cours des deux prochaines années. Des essais seront menés pour tester certains des critères diagnostiques proposés dans des situations cliniques. La publication du manuel est prévue pour mai 2013.
Les changements suivants sont notamment proposés:
- Une seule catégorie diagnostique "troubles du spectre autistique" incorporerait les diagnostics actuels de trouble autistique (autisme), syndrome d'Asperger, trouble désintégratif de l'enfance et le le trouble envahissant du développement non spécifié. Cette proposition suscite notamment le mécontentement de groupes représentant les personnes atteintes du syndrome d'Asperger.
- De nouvelles catégories sont proposées pour les troubles de l'apprentissage.
- Le diagnostic de retard mental serait renommé "déficience intellectuelle".
- Les catégories actuelles d' abus de substance et de dépendance à une substance seraient remplacées par une nouvelle catégorie "addictions et troubles reliés". Cette catégorie inclurait les troubles d'utilisation de substance avec chaque drogue identifiée dans sa propre catégorie. Éliminer
la catégorie de dépendance permettrait de mieux différencier le comportement de recherche compulsive de drogue caractéristique de l'addiction et les réponses normales de tolérance et de sevrage que certaines personnes vivent en utilisant des médicaments prescrits qui affectent le
système nerveux central.
- Une nouvelle catégorie "addictions comportementales" qui n'inclut pour l'instant que le jeu pathologique est proposée. L'inclusion d'un diagnostic d'addiction à internet dans cette catégorie a été considérée mais le groupe de travail a considéré qu'il n'y avait pas de données de recherche
suffisantes. L'addiction à internet est plutôt incluse dans l'appendice des diagnostics sous étude pour une inclusion éventuelle dans la prochaine édition du manuel.
- De nouvelles échelles de risque suicidaire pour les adultes et les adolescents sont ajoutées afin d'aider à identifier les personnes les plus à risque, avec pour but d'améliorer les interventions pour un large éventail de troubles mentaux; les échelles incluent des critères basés sur les recherches tels que le comportement impulsif et l'abus d'alcool chez les adolescents.
- Une nouvelle catégorie "syndromes de risque" est considérée. Elle fournit des informations pour aider les cliniciens à identifier les stades précoces de troubles mentaux graves comme les troubles neuro-cognitifs ( démence) et la psychose ( schizophrénie et troubles psychotiques).
- Un nouveau diagnostic, "dérèglement de l'humeur avec dysphorie" ("temper dysregulation with dysphoria", en attente d'une proposition de traduction) dans la section des troubles de l'humeur. Ce nouveau diagnostic porte sur la perte de contrôle sévère de l'humeur et peut aider les cliniciens à mieux différencier les enfants qui ont ces symptômes de ceux qui ont un bipolaire et un trouble opposionnel avec provocation. Des experts souhaitent que
l'ajout de ce diagnostic contribue à diminuer les diagnostics de trouble bipolaire chez les enfants qui entraînent des traitements avec des médicaments aux effets secondaires sérieux.
- Un nouveau trouble alimentaire est ajouté, celui de "binge eating" (hyperphagie) et des critères améliorés sont proposés pour l' anorexie et la boulimie. Des modifications sont apportés dans la définition des troubles alimentaires pour souligner qu'ils peuvent se développer à l'âge adulte.
- Des changements substantiels sont apportés à la définition des troubles de la personnalité.
(Sources Psychomédia, Science Daily, Los Angeles Times, Psychology Today)


oooOooo


1) L'article suivant mis en ligne le 26 avril 2013 sur le site de la revue PSYCHOMEDIA se fait l'écho de critiques venues de chercheurs en sciences sociales de l'Université de New York.

 

Psychiatrie : le DSM-5 ne tient pas assez compte des facteurs sociaux, estiment des chercheurs


Cette revue  en ligne canadienne  donne une liste de plusieurs textes donnant un bon aperçu des différences entre DSM4 et DSM 5. On la trouvera dans la section  intitulée :

DSM5 Guide psychomedia


oooOooo


2) Paru dans le New York Times le 6 mai 2013, sous la signature de  Pam Belluck  et Benedict Carey l'article suivant se fait l'écho des critiques venant des milieux psychiatriques liés à la génétique et aux neurosciences . C'est le cas d'un des grands experts psychiatres américains (du NIMH, l'Institut national de santé mentale) : le docteur Thomas R. INSEL dénonce le DSM V en lui reprochant d’avoir quitté la science (les causalités) au profit des symptômes (le comportement). Celui-ci propose de recentrer la psychiatrie vers un autre projet (Research Domain Criteria, ou RDoC) en relation avec la génétique et les neurosciences.


Psychiatry’s Guide Is Out of Touch With Science, Experts Say
By PAM BELLUCK and BENEDICT CAREY

 

oooOooo


3° L'article suivant est paru dans le Huffingtonpost du 10 mai.  Il est dû à Allen FRANCES (Professor Emeritus, Duke University). Ce psychiatre américain qui avait dirigé l'édition précédente  (le DSM-IV parue en 1994) s'en prend aujourd'hui aussi bien aux auteurs du DSM5 et l'APA qu'aux critiques évoquées plus haut, venues du  NIMH et du champ de la génétique. Allen Frances publie d'ailleurs un ouvrage, Saving Normal: An Insider's Revolt Against Out-of-Control Psychiatric Diagnosis, DSM-5, Big Pharma, and the Medicalization of Ordinary Life (Sauver le normal: la révolte d'un initié contre les diagnostics psychiatriques incontrôlés, le DSM-5, Big Pharma et la médicalisation de la vie ordinaire) très critique sur le DSM5.


NIMH vs DSM-5: No One Wins, Patients Lose

By Allen FRANCES 
(Professor Emeritus, Duke University)


oooOooo


4) Le  Monde du 13 mai 2013 a publié un dossier, qui reprend les informations précédentes et donne par ailleurs les points de vue de quelques acteurs français. 


LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  du 13.05.2013 

Un dossier réalisé par Sandrine CABUT


Psychiatrie : DSM-5, le manuel qui rend fou


oooOooo

5) LIBERATION a publié le 7 mai 2013 une enquête d'Eric FAVEREAU intitulée 


Fronde contre la psychiatrie à outrance


suivie d'un entretien avec le professeur Bruno FALISSARD qui dirige, aujourd’hui une des équipes de recherche les plus importantes en France à la Maison de Solen, à l’hôpital Cochin.



France 13 février 2013 Sénat .

Commission des lois présidée par Jean-Pierre Sueur.

Rapporteur : Jean-Pierre Michel

Examen du projet de loi ouvrant le mariage aux personnes du même sexe. A la suite du vote solennel à l’Assemblée nationale, le 12 février

Intervention d'Elisabeth Roudinesco, présidente de la SIHPP.

 

Monsieur le président de la commission des lois, Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir fait l’honneur de m’inviter à cette audition. J’ai déjà apporté mon témoignage le 12 novembre 2012 à l’Assemblée nationale et, depuis ce jour, les débats ont pris une ampleur étonnante et l’on a vu se déployer une grande violence, non pas tant contre les homosexuels eux-mêmes, que contre leur désir, déjà exprimé de longue date, d’entrer dans l’ordre familial.

Je suis favorable depuis longtemps à cette intégration et donc à la loi qui permettra aux homosexuels de se marier et d’adopter des enfants. Mais, comme j’ai eu l’occasion de le dire, je pense que le slogan du «mariage pour tous» ne convient pas : il ne reflète ni le combat des homosexuels, ni ce qui figure dans la loi. Il s’agit exclusivement, avec cette loi, de donner à des couples du même sexe le droit de se marier et il ne s’agit en aucune façon d’étendre le droit au mariage à toutes les personnes qui le souhaiteraient. Rappelons, une fois encore, que dans toutes les sociétés, les conditions requises pour l’union de deux personnes supposent plusieurs éléments : prohibition de l’inceste, ce qui implique que l’on exclue du mariage les personnes d’une même famille : le père et la fille, la mère et le fils, les soeurs et les frères et désormais, dans le monde occidental, les cousins. Sont exclues également, dans les sociétés démocratiques modernes, toutes les variantes de la polygamie. Dans des sociétés de droit, où les relations sexuelles entres personnes consentantes sont libérées de l’ancien carcan des mariages arrangés, où l’adultère n’est plus un délit, où le divorce est légalisé, il n’est plus possible de restaurer la polygamie qui suppose la possession de plusieurs femmes par un homme (ou, fait rarissime, de plusieurs hommes par une femme). On comprend aisément pourquoi ce modèle, encore en vigueur dans des sociétés théocratiques ou tribales, ne convient pas à ce qu’est devenue la famille dans les sociétés laïques. On a vu le casse tête que cela a représenté avec l’intégration de Mayotte comme département français. Elle y est interdite désormais mais il a fallu tenir compte de l’existence des familles polygames fondées avant cette interdiction.

Ce qui veut dire que pour fonder une famille, il faut au moins un échange entre deux familles qui existent préalablement et une liberté de choix. Ce qui se traduit dans l’institution du mariage par le fait que deux personnes, même si elles sont volontaires, ne peuvent se marier que si elles ne le sont pas auparavant. Dans notre système, la famille ne peut être que composée d’un couple et de ses enfants ou recomposée, ce qui suppose toujours l’existence d’un couple. Pas de mariage pour tous donc. Et j’ajouterais que du point de vue de la filiation, le mariage n’est plus nécessaire, comme vous le savez, pour concrétiser légalement l’existence d’une famille : les enfants nés hors mariage ont le même statut que les autres, ce qui est une avancée pour le droit des enfants.

La vraie question est de savoir pourquoi, après avoir été exclus d’un ordre familial jugé d’ailleurs haïssable et qui a été si fortement contesté dans les années 1970, les homosexuels ont, vingt-cinq ans plus tard, manifesté un tel désir de normativité. La réponse est assez simple. Dés lors qu’une orientation sexuelle minoritaire est progressivement dépénalisée, et ce fut le cas en France à partir de 1981, elle se normalise au fil des années. Et c’est en vertu de cette transformation que les homosexuels ont cessé de refouler leur désir d’enfants. Ils ont voulu être comme tout le monde et lier, eux aussi, orientation sexuelle, vie amoureuse, vie conjugale et engendrement ou procréation : ils ont voulu «faire famille».

Cela s’est fait, au fil des années, pour une nouvelle génération d’homosexuels qui, finalement, est entrée en contradiction avec la génération précédente, laquelle ne souhaitait pas forcément entrer dans l’ordre procréatif et se contentait du PACS ou de la dépénalisation. A cela s’est ajouté un autre désir, lié à l’hécatombe du SIDA. Au désir de transmettre des biens, s’est ajouté le désir de transmettre la vie et d’avoir une descendance. La normalisation de cette orientation minoritaire a donc débouché sur le contraire de ce qu’on imaginait. Ruse de l’histoire. On pensait il y a 40 ans que la dé-psychiatrisation de l’homosexualité permettrait aux homosexuels de rester des êtres à part, de pouvoir librement appartenir à la «race maudite» des Proust, des Rimbaud et des Wilde, à la catégorie des pervers fièrement revendiquée comme inassimilable, sans être regardés comme des malades mentaux atteints de je ne sais quelle «tare». Et voilà que l’on a assisté à tout le contraire, à une volonté de normalisation qui choque d’ailleurs certains homosexuels désireux de rester symboliquement les maudits de la civilisation. Personne d’ailleurs ne les en empêche mais je suis frappée de constater que les opposants à la loi sont en retard sur leur époque.  Eux qui refusaient autrefois la dépénalisation aux anciens pervers et autres invertis et sodomites, eux qui avaient refusé le PACS en craignant une apocalypse, sont favorables aujourd’hui à ce qu’ils condamnaient hier. Ils vantent désormais les mérites des homosexuels bien visibles, voire travestis ou transgressifs, déguisés, maquillés, revendiquant leur différence et ils les préfèrent à ces nouveaux jeunes homosexuels, plus invisibles et plus anonymes, dont les revendications normatives leur paraissent dangereuses. Ils aiment la Cage aux folles pour mieux rejeter l’homosexuel tranquille qui n’a plus besoin d’afficher sa différence pour exister. 

Mais enfin de quoi a-t-on peur? De l’apocalypse de la famille? Mais elle n’a jamais été aussi désirée. De la fin des familles normales? mais les normes ont changé et la famille idéalement normale est en voie de mutation depuis 50 ans. De la fin de la différence des sexes et de la marchandisation des corps par les différentes modalités de procréations médicales? Mais c’est une terreur irrationnelle. Rassurez vous, a-t-on envie de dire à ceux qui ont de telles craintes. Les homosexuels sont et resteront toujours minoritaires dans le monde, moins de 10% de la population mondiale, et les procréations médicales également, de même que les personnes infertiles, même si les naissances tardives, de plus en plus fréquentes en occident, favorisent la stérilité.

 Sachez bien, a-t-on envie de leur dire, que l’humanité continuera pendant des siècles à se reproduire par les moyens les plus classiques : l’acte sexuel entre un homme et une femme, majoritaire dans le monde entier à hauteur de 90%. Nous n’assisterons pas dans les années à venir à une «homosexualisation» généralisée des sociétés ni à l’avènement d’une humanité barbare fondée sur l’abolition des lois de la nature et de la culture. Et si cela arrivait, ce ne serait pas à cause des homosexuels. Car cela est déjà arrivé au XXe siècle et avant et cela arrivera peut-être encore sous d’autres formes. La pulsion de destruction est inscrite au coeur de l’humanité et jusqu’à ce jour ce sont les minorités qui en on étés souvent les victimes. Et quand cela s’est produit,  l’humanité a su lutter aussi contre cette part d’elle-même qui désirait sa propre mort.

Alors pourquoi avoir aussi peur? La peur est toujours engendrée par l’ignorance, elle est irrationnelle, irréductible, incurable. On a entendu des propos incroyables : risque de zoophilie, de pédophilie, de polygamie, d’inceste, terreur à l’idée de porter atteinte au bonheur de l’enfant ou à un droit de l’enfant à recevoir de bons parents. Mais depuis quand les bons parents se recrutent-ils exclusivement dans des familles dites normales, c’est-à-dire composées d’un homme et d’une femme? Qui a produit les criminels, qui a enfanté les assassins? Qui étaient les parents des tortionnaires, des bourreaux et des dictateurs? Toute la littérature est là pour nous prouver que les familles les plus normales en apparence ont engendré le crime ou la violence en même temps que l’amour, le courage et la beauté. Depuis le théâtre grec en passant par les tragédies de Shakespeare et par le roman du XIXe siècle - Hugo, Tolstoï, Flaubert - on n’a pas cessé de d’écrire de quoi était fait le terreau familial : du pire et du meilleur.

Je comprends fort bien que, pour des raisons politiques, le gouvernement ait écarté du débat et de la loi la question des procréations médicales et qu’il préfère, avant de légiférer, recueillir l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Et je comprends, en assistant aux débats houleux suscités par cette loi, qu’il ne veuille pas entendre parler, pour le moment, de la gestation pour autrui (GPA). Je suis frappée d’ailleurs par l’intensité de ces débats : à l’évidence, les opposants à cette loi se sentent troublés, sincèrement, au plus profond d’eux-mêmes, comme si cette loi venait abolir selon eux des pans entiers de leur histoire ou de leurs traditions. Impressionnant.

Mais cela n’empêche pas la science d’évoluer et d’avoir une histoire. Et cela n’empêche pas que l’on puisse en parler en attendant que la question refasse surface en politique. Ce qui ne saurait tarder.

Car de même qu’il était évident que la loi sur PACS ouvrait au mariage, malgré les dénégations, il est évident que plus on accorde de droits aux homosexuels et plus on sera contraint d’aborder la question des nouvelles formes de procréation. Non pas seulement pour les homosexuels mais pour toutes les personnes qui ne peuvent pas avoir d’enfants par d’autres moyens, c’est-à-dire, je le répète, pour une infime minorité de personnes.

On n’a jamais vu en effet dans l’histoire des hommes qu’un progrès de la science ne soit pas utilisé.  Les avancées dans le domaine de la biologie reproductive sont évidentes et il faudra bien un jour les encadrer par la loi afin de pouvoir énoncer ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Aujourd’hui, il est possible à des femmes infertiles ou nées sans utérus d’avoir recours à la gestation pour autrui plutôt qu’à l’adoption rendue de plus en plus difficile. Et l’on sait, par ailleurs, que jamais on ne parvient à éradiquer le désir d’enfant chez une être humain : ce désir est une pulsion et quand l’être humain y renonce, c’est pour la sublimer et pour accomplir un autre acte de création : une oeuvre artistique, un engagement politique ou mystique, etc....

En conséquence, si la science fournit de quoi satisfaire cette pulsion, on ne pourra pas empêcher les êtres humains d’y avoir recours. Et plutôt que de tout interdire, il faut maitriser, grâce à des lois, les dérives potentielles induites par le progrès des sciences. La gestation pour autrui révulse ceux qui ne voient en elle que ce qu’on leur a dit ou montré : des femmes ukrainiennes ou indiennes, d’autres encore venues d’une autre monde et traitées comme des esclaves et leurs corps comme des choses.

Mais si l’on ne voit que cet aspect de la GPA, on oublie alors que le don existe et qu’il est l’un des moteurs de la société humaine, une offrande sans contre-partie apparente. Que des femmes aient envie d’en aider d’autres comme autrefois chez les peuples premiers des femmes portaient des enfants pour d’autres femmes, rien de plus naturel et rien de plus culturel. Et même si une rémunération existe, cela n’empêche pas le don. D’où la nécessité d’un rite, c’est-à-dire d’une réglementation, d’un choix organisé permettant à des familles de se rencontrer, à des femmes de se détacher de l’enfant qu’elles portent parce qu’elles en ont eu d’autres avant et qu’elles souhaitent sauver des existences. En se plaçant du point de vue du don, pratique ancestrale dans toutes les sociétés, pratique généreuse à laquelle devraient songer tous ceux qui protestent contre la marchandisation des corps, on peut envisager qu’elle puisse s’inscrire dans ce qu’est devenue en occident la famille nucléaire. Pourquoi pas? Et cela ne dérogerait pas à ce principe fondamental de toutes les sociétés qui est que pour faire une famille il en faut une autre. Et du même coup, pourquoi ne pas penser aussi à la possibilité de répondre à des demandes de couples homosexuels qui, de plus en plus, tenteront de fonder des familles en utilisant les moyens de la science.

Pourquoi avoir peur? Ces techniques ne sont rien d’autre que la continuation de l’adoption par d’autres moyens. A ceci près que l’enfant n’est pas abandonné pour être ensuite recueilli par une autre famille salvatrice mais qu’au contraire il est désiré, ce qui est différent...

Je voudrais terminer avec une réflexion sur l’usage contemporain de la psychanalyse. Peu aptes à penser leur époque comme l’avaient fait Freud, les psychanalystes – malgré quelques belles initiatives qu’il faut saluer - se sont mis en position d’experts de la famille pour s’opposer à la loi. Ils se sont emparé du sacro-saint complexe d’Oedipe pour expliquer qu’un enfant avait besoin, pour exister, de deux références, l’une masculine, l’autre féminine. On a parlé de père séparateur et de mère fusionnelle en oubliant que la signification première de la référence de Freud à la tragédie d’Oedipe est l’idée que le sujet est conduit par un destin qui lui échappe : l’inconscient.

En aucun cas, cela ne signifie qu’un enfant aurait absolument besoin de la différence des sexes dans le couple parental pour devenir un sujet à part entière.  Cette proposition est devenu le slogan d’une psychologie des bonnes moeurs au service d’une police des familles. Et de même, certains ont affirmé que l’homosexualité ne concernait pas la psychanalyse puisque du point de vue clinique elle n’existerait pas et ne serait que la traduction, dans la réalité, d’une bisexualité commune à tous les êtres humains : peu importerait donc aux yeux de ces praticiens la question de l’acte sexuel réel puisque nous serions tous «freudiennement» et «cliniquement» des homosexuels. En écoutant de tels discours, on se dit que les psychanalystes sont parfois les meilleurs ennemis de leur discipline.

S’agissant de Jacques Lacan, combien de déclarations extravagantes ? J’ai ainsi entendu un débat entre un rabbin et un philosophe, tous deux se réclamant de la trilogie lacanienne du symbolique, de l’imaginaire et du réel - selon laquelle chaque sujet est soumis à la loi du langage, à des représentations fantasmatiques et à une réalité impossible à symboliser - pour affirmer, l’un son opposition radicale au mariage homosexuel, l’autre son adhésion. Il y a là une manière comique d’utiliser une théorie et de plaquer des concepts sur une réalité pour leur faire dire n’importe quoi. Autrement dit, je récuse l’idée que l’on puisse se servir d’une discipline - quelle qu’elle soit - comme d’une grille d’expertise. La meilleure façon d’hériter d’une doctrine, c’est non pas de lui être fidèle comme à un texte sacré, mais de lui être infidèle, c’est-à-dire de faire travailler sa conceptualité, de la penser, de la modifier, d’en retracer l’histoire.

Ni Freud, ni Lacan, ni aucun autre théoricien de la psychanalyse n’avait songé à cette nouvelle configuration de la famille qui est la nôtre aujourd’hui pour la bonne raison qu’elle ne se posait pas à leur époque, alors même que la question des relations de parenté a toujours été au coeur de la doctrine psychanalytique, tant du point de vue clinique que du point de vue historique. Freud fut le théoricien d’une certaine époque de la famille occidentale marquée par la déclin de l’omnipotence patriarcale et par la montée en puissance de l’émancipation des femmes et du droit des enfants, qui accédaient au statut de sujet à part entière. En fondant sa conception de la famille oedipienne sur l’idée que la mère est le premier objet d’amour et que cela se répète ultérieurement dans des choix d’objets, en montrant que le sujet est habité par une conscience coupable et par un désir de meurtre du père, Freud théorisait la famille moderne nucléaire et non plus élargie comme avait été la sienne. Son objet c’était la famille traversée par les névroses, une famille déstabilisée, déconstruite, fragilisée, celle des débuts de l’ère démocratique et libérale. D’où la référence à Oedipe d’un côté, tragédie du destin, et à Hamlet de l’autre, conscience coupable, héros incapable de venger son père. Sa conception de l’homosexualité était émancipatrice : il était favorable à la dépénalisation et ne regardait pas les homosexuels comme des malades ou des anormaux mais comme des sujets à part entière.

 Quant à Lacan, dés 1938, il théorisait bien autre chose, une époque de la famille marquée d’abord par la Première guerre mondiale qui fut l’hécatombe des hommes - fils et pères - et l’avènement des femmes devant faire face à la mort en assumant des responsabilités civiles qui les conduisirent à une véritable émancipation, puis au droit de vote. Il théorisait ainsi autre chose que Freud, une fois acquise l’idée du déclin de la figure du père : l’avènement du fascisme d’un côté, qui prétendait revaloriser de façon grotesque la figure archaïque d’un père viril, le communisme de l’autre, qui prônait l’utopie généreuse de l’abolition de la famille. Et puis, après Auschwitz, c’est-à-dire après une guerre qui avait eu pour objectif final l’extermination d’une humanité jugée inférieure - homme, femme, enfant -, Lacan prit pour référence de sa conception de la clinique et de la famille, non pas Oedipe, non pas les névroses familiales, mais Antigone, figure de l’absolutisation du désir, celle qui refusait de procréer, qui refusait d’être mère et épouse et qui se sacrifiait au nom du passé afin de donner une sépulture à son frère mort.

Autrement dit, la conception lacanienne de la famille était très différente de celle de Freud, ce qui montre au passage que les guerres, les hécatombes et les massacres sont une des modalités essentielles de la transformation d’un ordre familial : on désire d’autant plus que les vivants se souviennent des morts que ces morts ont perdu la vie trop tôt en regard de ce qu’aurait pu être une mort naturelle. 

Homme du XX-iéme siècle, Lacan voyait dans la famille tout à la fois le seul creuset possible de la société mais aussi, et beaucoup plus que Freud, le lieu de toutes les turpitudes et de toutes les déviances possibles : une norme nécessaire mais aussi le lieu d’émergence des anormalités.

Je tiens à dire pour ma part qu’après avoir écrit un livre sur la famille et étudié les différentes modalités de procréation, et surtout après avoir lu un nombre impressionnant de ces fameuses expertises socio-psychologiques qui montrent que les enfants d’homosexuels ne sont pas différents des autres enfants, à niveau égal de milieu social et intellectuel - des milieux aisés en général - j’en ai conclu qu’il ne fallait pas expertiser la condition humaine. On peut évaluer l’efficacité d’un traitement médical, on peut expertiser la solidité d’un pont, on peut et on doit, dans le domaine des sciences, appliquer un principe de précaution, on peut et on doit se livrer à des expérimentations.

Mais, fût-ce pour la bonne cause et fût-ce pour prouver ce que l’on sait déjà - que les enfants d’homosexuels ne sont pas plus perturbés que les autres - on ne devrait pas prendre l’existence humaine comme objet d’expertise. Et de même pour les enfants nés de procréations médicales. Seule la loi - c’est-à-dire la définition par le droit de ce qui est autorisé et de ce qui est interdit sous peine de sanction - est une avancée de la civilisation sur la barbarie. C’est ce que pensait Freud en 1930 et c’est ce que ne pensent plus une majorité de ses héritiers, hélas.

On ne peut pas éternellement interdire ce qui relève de la science car alors les dérives seraient plus terribles encore que ce qu’on voit aujourd’hui. Soyons humains, généreux et rationnels et posons nous de vrais problème éthiques à partir d’une réalité qui ne doit en aucun cas susciter des terreurs mais des solutions rationnelles. Sachons aussi qu’aucune doctrine, aucune expertise ne saurait donner aux humains imparfaits que nous sommes la solution miracle pour fabriquer des familles parfaites capables d’engendrer des êtres parfaits et sans la moindre défaillance.

 



France. Assises de la psychiatrie

Villejuif, 31 mai-1er juin 2013


Intervention de Laure Murat


Professeur au "Département d’Études françaises et francophones" (Department of French and Francophone Studies) de l'UCLA


Il y a un mois, Patrick Chemla m’a proposé de participer à ces Assises et m’a demandé si, à titre d’historienne (et plus spécialement d’historienne de la psychiatrie), j’aurais été intéressée d’intervenir à propos du Troisième Plan Autisme. Comme beaucoup, j’avais été choquée par les propos de Mme Carlotti condamnant la psychanalyse au profit des « méthodes qui marchent », précisant : « Que les choses soient claires : n'auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler » (Le Monde, 2 mai 2013). Cette phrase, qui a été beaucoup reprise – à juste titre –, est d’autant plus frappante qu’elle dit haut et fort ce que le rapport s’évertue à diffuser mais de façon beaucoup plus perverse, comme l’eau qui dort, sans l’énoncer une seule fois.

N’étant ni médecin, ni psychiatre, je n’ai aucune qualification pour me prononcer sur l’autisme. Mais je suis professeure à l’université et le rapport aborde précisément l’enseignement et la recherche, domaines sur lesquels je me concentrerai, en prenant soin de distinguer le discours implicite du discours explicite – la langue de la bureaucratie requérant d’autant plus d’attention du point de vue rhétorique que sa médiocrité poétique, souvent lénifiante, est, contrairement à ce qu’on pourrait croire, très élaborée et très signifiante politiquement.

On peine en général à juger des textes qui, en apparence, ne se réclament d’aucune théorie. Mais c’est oublier que l’absence de théorie est déjà une théorie. De même, d’un point de vue lexical, l’absence de certains mots est au moins aussi révélatrice que l’emploi répété de certains autres. Que les mots « psychanalyse » ou « psychothérapie », par exemple, ne soient pas prononcés une seule fois sur les 121 pages du Troisième Plan Autisme (2013-2017) me semble plutôt être une revendication idéologique en creux que le fruit d’une étourderie des rédacteurs. Car on sait bien que la réduction au silence est une méthode beaucoup plus efficace qu’une attaque frontale, dont les arguments pourraient être soumis à la discussion et au débat. En parvenant – car c’est une manière de tour de force –  à ne citer ni la psychanalyse, ni la psychothérapie institutionnelle, le rapport entérine, comme une évidence, leur disparition de fait dans le paysage intellectuel. Le silence joue ici le même rôle qu’un énoncé performatif, qui « acte » une éradication : ce qui n’est pas nommé n’existe pas – ce que la presse n’aurait peut-être même pas relevé, n’était la déclaration martiale de Mme Carlotti, que j’interprète comme une « gaffe politique », à la limite du lapsus, officialisant ce qu’il fallait stratégiquement continuer à taire.

De même qu’il y a réduction au silence de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle, il y a, dans le rapport, suremploi de certains termes. Le mot « cognitif » (diversement accordé), par exemple, est prononcé vingt-six fois, loin derrière, il est vrai, l’expression « recommandations de la HAS » qui ne compte pas moins de cent huit occurrences.

 En gardant ces remarques lexicales en tête, la lecture des passages consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche s’avère d’autant plus éclairante. Je lis par exemple, p. 15 : « (…) [1]. »

« Les nouvelles formations respectant les recommandations de la HAS », « la diversité des méthodes existantes compatibles avec les recommandations de la HAS »… Il ne faut pas être grand clerc pour observer que la pluralité affichée des positions (nouvelles formations, diversité des méthodes existantes, besoins spécifiques de chaque situation, développement de cursus) est une pluralité faussée, puisqu’elle est en réalité réduite aux « recommandations de bonne pratique » de la HAS publiées en 2012, qui concluaient à la non-pertinence des interventions fondées sur l’approche psychanalytique et la psychothérapie institutionnelles [2].  Prôner la diversité, dans ce cas, c’est donc prôner la diversité dans un seul domaine scientifique, les sciences cognitives et comportementales. C’est un peu comme si je disais vouloir étudier la diversité des couleurs de cheveux…parmi les blonds.

Un même principe préside à la partie consacrée au renforcement de la recherche, mais formulé différemment et, pour tout dire, de façon plus explicite : « Cette action vise à renforcer la recherche sur l’autisme dans le domaine de la biologie, des sciences cognitives, et des sciences humaines et sociales [3].

Les actions envisagées sont au nombre de quatre :

1)Promouvoir la recherche sur les marqueurs précoces et le suivi évolutif de l’autisme (bio-marqueurs, données de l'imagerie cérébrale) en l'articulant à l’analyse clinique, cognitive et comportementale.

2)Promouvoir la recherche sur les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine de l’autisme.

3)Promouvoir la recherche cognitive sur l’autisme (…) [et, en particulier] développer et affiner divers modèles (theory of mind, etc.)

4)Etudier les dispositifs de remédiation (…)[4]

Ces deux passages me paraissent exemplaires d’une réflexion à mener sur le rôle et l’intervention de l’Etat dans la formation universitaire et dans la recherche en général, problème qui s’est récemment cristallisé, en Histoire, avec la polémique autour des lois mémorielles. J’en rappellerai rapidement la genèse et les enjeux. Le 12 décembre 2005, Pierre Nora lançait une pétition, « Liberté pour l’histoire », signée entre autres par Pierre Vidal-Naquet, Paul Veyne et Elisabeth Roudinesco. L’appel s’insurgeait contre les procédures judiciaires visant des historiens, dont le travail était entravé par une série de lois (la loi Gayssot, la loi Taubira, la loi du 29 janvier 2001 portant reconnaissance du génocide arménien ou celle du 23 février 2005 demandant au programmes scolaires de reconnaître le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », etc.), lois qui  « ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites. » Le collectif demandait en conséquence « l'abrogation de ces dispositions législatives indignes d'un régime démocratique [5] ». Quelques jours plus tard, un autre collectif, composé entre autres de Serge Klarsfeld et de Claude Lanzmann, lançait une contre-proposition intitulée : « Ne mélangeons pas tout », qui affirmait entre autres, à propos de la loi Gayssot dont le maintien était réclamé : « Le législateur ne s’est pas immiscé sur le territoire de l’historien. Il s’y est adossé pour limiter les dénis afférents à ces sujets historiques très spécifiques, qui comportent une dimension criminelle, et qui font en tant que tels l’objet de tentatives politiques de travestissements [6]. » 

Car l’État n’a pas plus à définir la « vérité historique » que la « vérité scientifique ». « compte tenu des liens étroits que les expert(e)s entretenaient avec les laboratoires chargés de la fabrication et de la commercialisation des produits médicamenteux » du traitement de la maladie[7]. Que ce soit cette instance-là précisément qui dicte les orientations de la recherche (puisqu’on a compris grâce à Mme Carlotti que ces recommandations étaient en réalité des sommations) me paraît, oui, tout aussi choquant que lorsque l’Etat a voulu obliger les historiens à reconnaître le rôle « positif » de la colonisation (loi du 23 février 2005). À cette époque, Christiane Taubira s’était exprimé pour juger la loi « désastreuse » car « catégorielle ». En 2001, la loi Taubira, précisément, demandait pourtant à ce que la traite des Noirs soit inscrite dans les programmes mais (et la différence est cruciale) n’imposait en aucune façon la manière dont les enseignants devaient en parler.

Le plébiscite exclusif des sciences cognitives et comportementales du Troisième Plan Autisme me paraît comparable à ces oukazes officiels en ceci qu’il impose une orientation scientifique qualifiée de seule « positive », et limite ainsi la recherche c’est-à-dire l’apauvrit. Après la proposition de loi du député UMP Daniel Fasquelle en janvier 2012 appelant à une interdiction pure et simple de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme, il est très regrettable que soit entériné si vite ce qu’il faut bien appeler la victoire d’un lobby, au mépris des régles élémentaires qui président à tout travail intellectuel.  

 --------------------------------------------------------------------------------------

Notes

[1] Troisième Plan Autisme (2013-2017), présenté le jeudi 2 mai 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ministère de la Santé, p. 15.

[2] Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandation de bonne pratique, Mars 2012, p. 27. Téléchargeable sur le site de la HAS :

[3] Troisième Plan Autisme (2013-2017), présenté le jeudi 2 mai 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ministère de la Santé, p. 100.

[4] Ibid. C’est moi qui souligne.

L'Autisme et la querelle des classifications nosographiques

Patrick Landman (Février 2012)

Les polémiques en cours sur la prise en charge des autistes ont mis en lumière un aspect peu connu du grand public, la querelle qui porte sur les classifications des maladies mentales.

Le député Daniel Fasquelle dans sa proposition de loi visant à l'interdiction des pratiques psychanalytiques avec les autistes y fait explicitement allusion. Il reproche à la majorité des pédopsychiatres français de se référer à une classification "obsolète", la Classification Française des troubles mentaux de l'enfant et de l'Adolescent, plus connue sous le sigle C.F.T.M.E.A à laquelle il oppose la CIM10 qui fait consensus international surtout depuis qu'elle s'est alignée en grande partie sur la classification Nord Américaine le DSM IV . Sans trahir sa pensée on comprend que les classifications internationales font consensus parce qu'elles sont "validées scientifiquement" alors que la C.F.T.M.E.A est dépassée car se référant à une vieille théorie non scientifique la psychanalyse. Il nous faut examiner cette affirmation.

Les classifications nosographiques internationales scientifiques

Notre réponse est sans ambiguïté : Aucune classification nosographique psychiatrique ne peut prétendre à la scientificité. La raison en est simple : une classification scientifique se fonde en médecine sur l'étiologie ou à défaut la physiopathologie des maladies ou des syndromes qu'elle utilise comme hypothèses organisatrices. Dans le champ des maladies mentales il n'existe pour ainsi dire aucune étiologie ou physiopathologie validée mais seulement des hypothèses, des étiologies putatives. De plus le DSM IV s'est prétendu a-théorique en dépit de ses hypothèses organicistes implicites, ce qui lui ôte toute prétention à servir de modèle dans une démarche hypothético-déductive et donc à se soumettre à la réfutation par l'expérience rendue alors inapte à invalider ou falsifier. Les conséquences sont importantes : par exemple les chercheurs en particulier dans le champ des psychoses sont contraints d'utiliser de plus en plus des stratégies de contournement des classifications internationales.

Par ailleurs une classification repose sur trois piliers : fiabilité, validité, sensibilité.

Or les classifications internationales et en tout premier lieu le DSM au nom de la critériologie opérationnelle ont privilégié exclusivement la fiabilité, baptisée "fidélité inter-juges", sans se préoccuper de savoir si les critères diagnostiques étaient valides, autrement dit si les maladies classées existaient réellement, ni si ces mêmes critères étaient sensibles c'est à dire capables de permettre de différencier deux maladies voisines. Pour obtenir la fiabilité maximale mesurée par des outils statistiques (kappa), les promoteurs du DSM ont procédé par simplifications successives pour individualiser des critères de comportement superficiels très facilement observables, regroupés en "troubles" ou "disorders" en anglais et sur lesquels on pouvait aisément obtenir un accord.Il suffisait alors de diriger à l'aide d'un arbre de décision la démarche du diagnostiqueur pour obtenir ce qui était recherché dès le départ c'est à dire un consensus. Exit la subjectivité considérée comme un biais, exit la complexité de la vie psychique, exit l'entretien clinique non formalisé, exit la tradition clinique et ses exigences de formation approfondie, seul subsiste le trouble à corriger de préférence à l'aide d'une thérapie comportementale et/ou des médicaments. A la validité interne se substituait un validateur externe : le consensus en fait fabriqué de toute pièce par la méthodologie et remplaçant en tant que construction sociale la lésion cérébrale ou le gène introuvables. Le consensus tient lieu de preuve pour satisfaire en apparence aux exigences de la médecine scientifique (Evidence Based Medecine). L'évolution des moeurs, les antagonismes sociaux, la tendance démocratique à l'égalité des droits des usagers citoyens, le respect des minorités, les lobbys en particulier pharmaceutiques ayant pour tâche de décider ou d'aider à décider de l'opportunité des entrées et des sorties des différentes maladies au fur et à mesure des révisions, car le DSM est "toujours en mouvement". Ce système s'auto-entretient à l'aide de conférences de consensus entre professionnels ayant globalement les mêmes références. L' absence d'attention suffisante à la validité et à la sensibilité a eu pour conséquence une inflation des troubles, l'émergence d'un risque accru de faux positifs, l'augmentation artificielle de la prévalence de certaines maladies qualifiée de "fausse épidémies", en particulier pour l'autisme et la multiplication des comorbidités.

Il est vrai que concepteurs du DSM ont cherché à palier à certaines objections par la multi-axialité. A défaut de multi-dimensionnalité, la multi-axialité donnait l'illusion d'une profondeur de champ, car si l'axe I était réservé aux "disorders", l'axe II se référait aux troubles de la personnalité concession faite à la "psychodynamique", s'y ajoutait trois autres axes comportant les problèmes psycho-sociaux ( mais gare aux réactions des familles ), les maladies organiques associées, et une évaluation globale du fonctionnement du patient. En réalité et en pratique seul l'axe I compte, car outre les études épidémiologiques, les praticiens comportementalistes et d'orientation biologique intéressés à la seule réduction des comportements pathologiques et donc au seul axe I produisent un effet d'accumulation d'évaluations et de méta-analyses, sans commune mesure avec les recherches de praticiens psychothérapeutes psychanalystes réticents ou opposés à l'évaluation standard qui transforme la cure en Empiracally Supported Psychoyherapy (E.S.P.).

Par ailleurs les organismes d'assurances aux U.S.A ne remboursent qu'en fonction de l'axe I, la lutte est donc acharnée pour faire figurer tel ou tel "disorder" sur l'axe I car sans valeur médico- économique, un trouble n'existe pas. Par exemple le combat est engagé entre les tenants et les adversaires de l'inclusion du Syndrome d'Asperger dans le Trouble du Spectre Autistique, car sans inclusion dans le spectre pas de remboursement, pas de crédit, pas de procès en recours possibles contre les compagnies d'assurance ou les professionnels ou tout au moins beaucoup plus difficilement.

Nous sommes bien loin des critères scientifiques.

La CFTMEA versus DSM et CIM, les enjeux pour l'autisme

A la fin des années 80 sous l'égide de Roger Misès des cliniciens engagés dans la pédopsychiatrie ont décidé de "résister" à l'envahissement des classifications internationales et en particulier le DSM, le résultat de leur action a été de proposer la Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l'Adolescent, dont la dernière édition va paraître dans quelques semaines.

La CFTMEA repose contrairement au DSM sur une théorie psychopathologique non exclusivement psychanalytique pour repérer les organisations pathologiques et leur potentialités évolutives elle maintient un lien avec les acquis des traditions cliniques tout en accueillant les nouvelles données scientifiques. Elle s'appuie sur des enquêtes de terrain mais demande une formation clinique approfondie et un temps d'observation prolongé.

On est loin du "système expert" et du diagnostic à la portée de tous. Le classement d'un cas et non d'un individu, exige un engagement subjectif du clinicien et non de simples entretiens formalisés, standardisés ou soumis à un protocole strict où l'on coche des items. L'usage des tests est conçue aussi dans une optique de médiation quand l'entretien formalisé permet d'ouvrir la voie à une parole qui compte plus que le résultat chiffré, l'algorithme.

La CFTMEA repose sur une conception évolutive et mutative de la pathologie, le diagnostic n'est pas fixé une fois pour toutes ; parfois une discussion avec d'autres cliniciens est nécessaire pour la fiabilité et l'homogénéisation par exemple dans un but de recherche ou d'épidémiologie. Sa sensibilité permet de différencier cliniquement des formes limites, des formes de passages, des inclassables, des réactions entrant dans le cadre de la norme etc... Pour toutes ces raisons la CFTMEA répond aux critères exigibles pour une prise en charge clinique pluridisciplinaire, intégrative et individualisée des autistes.

Que reproche-t-on à la CFTMEA à propos de l'autisme et dont le député s'est fait l'écho?

De ne pas clairement distinguer l'autisme des psychoses infantiles voire d'inclure l'autisme dans le cadre des psychoses infantiles.

Le terme de psychose sonne aux oreilles des détracteurs de la CFTMEA comme voulant dire pathologie mentale d'origine psychogénétique, relevant prioritairement ou exclusivement de la psychanalyse. Donc rien de commun avec l'autisme défini comme handicap et non comme pathologie par la loi de 2005 et dont l'origine "prouvée" est neuro-développementale. L'autisme n'a pas plus de raison d'être inclus ou relié à la catégorie des psychoses que la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson si ce n'est à vouloir accréditer une théorie fausse, un diagnostic faux entraînant une culpabilisation des parents, donc ajoutant de la souffrance à la souffrance, et de plus conduisant à une prise en charge erronée, source d'un surhandicap. Partout ou presque dans le monde la question est tranchée par la science,l a France reste en retard. Telle est avec quelques variantes "l'histoire "que raconte les détracteurs de la psychanalyse.

Mais il semble que le problème ne puisse se peoser seulement en ces termes.

Après une longue période préhistorique où l'on décrit l'enfant sauvage puis les idiots, l'autisme est individualisé par Léo Kanner en 1943 sous le nom d'Autisme infantile précoce. Il est différencié de la schizophrénie infantile. Ce syndrome présente deux traits cliniques pathognomoniques : Aloneness et Sameless c'est à dire l'extrême solitude et le besoin d'immuabilité. Kanner distingue l'autisme de la schizophrénie infantile et sa trouvaille nosographique est un tournant dans la psychiatrie de l'enfant car il s'attache à repérer les traits communs aux enfants décrits et non à rechercher chez l'enfant ce qu'on décrit chez l'adulte. En ce sens sa démarche est novatrice. Le mot d'autisme est emprunté à Eugéne Bleuler qui l'avait décrit au début du siècle dernier à propos de la schizophrénie chez l'adulte en refusant le terme d'auto-érotisme de Freud, mais pour Kanner l'autisme infantile est primaire et non secondaire comme dans la schizophrénie.

Puis vient une période où les pédopsychiatres et psychanalystes pour la plupart anglais et français vont s'attacher à délimiter le champ complexe des psychoses infantiles pour le distinguer de la schizophrénie infantile alors "envahissante" aux USA. On décrit en particulier les psychoses déficitaires, les psychoses dysthymiques, la psychose symbiotique etc...

L'Autisme, Psychose ou Handicap ? la mauvaise façon de raisonner

Les raisons qui ont poussé les psychanalystes à relier l'autisme, sans l'englober, au champ des psychoses sont multiples parmi lesquelles on doit compter celle de refuser l'irréversibilité et l'incurabilité de l'autisme à l'époque où l'autisme était considéré comme tel par la psychiatrie et les autistes délaissés.

De plus les psychanalystes ont considéré que les autistes avaient un appareil psychique et pas seulement un cerveau défectueux et ils ont tenté de comprendre le fonctionnement de cet appareil psychique en comparant avec ce qu'ils observaient dans les psychoses, il en est résulté par exemple des descriptions cliniques et des hypothèses concernant le rapport particulier des autistes aux objets avec la bi-dimensionnalité comme limite, la nature des objets de l'autiste qui est différente de l'objet transitionnel, la question du double, leur rapport au langage avec l'analyse très fine des particularités de ce langage autiste à commencer par les études de Kanner lui même puis grâce à l'apport de Lacan, les concepts d'identification adhésive et d'identification projective etc...toutes ces avancées conceptuelles pouvant se mettre au service d'une approche empathique et thérapeutique des autistes malgré les grandes difficultés de la prise en charge. Dans ce cadre de pensée que reflète la CFTMEA on distingue un gradient de pathologies qui va de l'autisme de Kanner dans sa forme pure, aux syndromes autistiques, aux réactions autistiques puis aux psychoses infantiles appelées dysharmonies psychotiques jusqu'aux états limites. Il a été même décrit que certaines sorties de l'autisme se faisaient par un passage par la psychose infantile. Mais ce gradient a pu, malgré lui, apparaître comme confusionnant et source de malentendus sur une éventuelle conception imprudente étiologique, psychogénétique de l'autisme. En fait dans la CFTMEA on peut affirmer que les psychoses infantiles servent de référence en raison de leur caractère réversible et de leur accessibilité aux méthodes psychothérapiques à visée dynamique et mutative sans préjuger des autres actions thérapeutiques, éducatives et pédagogiques nécessairement associées et surtout sans prendre partie pour une étiologie.

Cependant les ouvertures de droits nouveaux qu'offraient le statut de handicapé en particulier aux USA, la possibilité de déculpabilisation que procure "l'universel de la science", le diagnostic au service d'une identité, le développement de la psychiatrie sociale ainsi que les prétentions scientistes ont convergé pour fortement influencer la "modernisation" de la conception nosographique de l'autisme qui s'est faite jour au sein des classifications internationales. L'autisme sous le terme générique de troubles envahissant du développement, puis de troubles du spectre autistique est devenu la référence absolue. Les psychoses infantiles ont disparu, on trouve à côté d'une forme pure d'autisme, les autres catégories de pathologies TED qui se définissent négativement par rapport à l'autisme comme des formes atypiques ou non spécifiés, représentant 35% des TED d'après les études épidémiologiques, ce qui laisse à penser que les TED/TSA sont des regroupements chimériques, et que ces 35% sont les anciennes psychoses infantiles et les états limite ou autres, qui de pathologies constituées caractérisées et répertoriées dans la CFTMEA sont réduites au statut confus de "quasi autisme" ou d'autisme à tant de %. La confusion a changé de camp mais les paradigmes ne sont plus les mêmes, c'est la conception déficitaire et le handicap qui sont au centre. Le syndrome d'Asperger continuant à poser un problème car certains contestent son caractère déficitaire allant jusqu'à considérer comme Laurent Mottron qu'il fait partie du patrimoine de l'humanité, sans évoquer ses délimitations floues incluant des gens "bizarres", des schizoïdes ou des borderline. Autre source de confusion dans les TED/TSA : le fait que le retard mental soit coté seulement sur l'axe II et comme les parents de ces enfants déficients mentaux réclament un vrai diagnostic ,c'est à dire sur l'axe I, ils sont donc inclus dans les TED/TSA.

De plus les classifications internationales par leur conception déficitaire et leur présupposés organicistes implicites ont entraîné une séparation artificielle entre handicap et pathologie, séparation entérinée par la loi pour l'Autisme. Leur conception s'apparente à un retour des anciennes théories fixistes mais que l'on associe à des techniques de compensation comportementalistes dont on assure la promotion par des études dont les résultats sont contestés( par des scientifiques peu suspects de complaisance envers la psychanalyse) et une stratégie agressive s'apparentant à du marketing.

Les concepteurs de la CFTMEA et Roger Misès en premier lieu ont refusé cette séparation pathologie/handicap car ont-ils dit les pathologies mentales entraînent des handicaps parfois sévères et à l'inverse la persistance des désavantages dans les interactions sociales contribuent à la fixation de mécanismes psychopathologiques parfois très contraignants. D'où chaque fois que cela est possible les soignants doivent favoriser une convergence et une synergie positive entre les changements structuraux et les progrès réalisés dans le domaine de l'adaptation scolaire, familiale ou plus tard sociale. La CFTMEA s'assortit d'une classification des handicaps dans le cadre des conceptions dynamiques de Philip Wood. Cette conception dynamique entre handicap et pathologie est confirmée par les travaux sur les personnes cérébro-lésées qui démontrent la justesse d'une approche fonctionnelle du handicap car tout déficit cérébral à la suite d'une lésion entraîne toujours une stratégie de compensation de ce déficit par l'organisme, il en résulte que les symptômes relèvent non pas seulement du déficit mais à la fois du déficit et des mécanismes de compensation de ce déficit mis en oeuvre par le cerveau. Des voies de recherche s'ouvrent pour l'autisme par exemple quand les psychanalystes parlent de mécanisme de défense de type autistique, s'agit-il d'un mécanisme de défense inconscient avec ou sans intentionnalité contre "un réel insupportable, un fantasme inconscient, la pulsionnalité et/ou une statégie de compensation du cerveau défaillant de l'autiste?

Le cas paradigmatique des psychoses infantiles, faire disparaître la folie?

Toute classification est à la fois une opération de dénomination, de définition de la clinique et de référence théorique explicite ou implicite. Ce qu'on voit on le nomme, ce qu'on ne nomme plus on ne le voit pas, le regard en psychiatrie participe ,plus qu'ailleurs en médecine, de la clinique, plus le regard est nuancé reposant sur une conception élargie du fonctionnement psychique, plus la clinique est riche.

La disparition des psychoses infantiles est exemplaire de l'évolution entre la CFTMEA et les classifications internationales. Elles ont disparu avec la disparition dans le même mouvement de la référence psychopathologique et psychanalytique.

Les psychoses infantiles existent indépendamment de la psychanalyse ; même si la psychanalyse disparaissait les psychoses infantiles ne disparaîtraient pas pour autant, on les décrirait avec d'autres concepts.

Pour les psychanalystes les psychoses infantiles se manifestent par une contrainte organique moins pesante que dans l'autisme, les enfants ont un regard, une empathie avec les autres mais des troubles du repérage de la différence, soi / non soi, réalité intérieure / réalité extérieure, des difficultés de symbolisation, individuation / séparation, forclusion, des obstacles à la scénarisation, un jugement de réalité instable, une apparition plus tardive et une évolution plus favorable etc...D'autres modèles comme la neuro-psychologie peuvent être utilisés pour les décrire avec la difficulté de la méta-représentation, la théorie de l'esprit etc...Comment comprendre la disparition des psychoses infantiles dans le DSM? S'il s'agissait simplement de refuser la psychogènèse exclusive et la psychanalyse on aurait pu les nommer autrement, par exemple dans une optique pluri-déterministe multiple complex development disorders à l'instar de l'école de Yale sans les faire disparaître dans le fourre tout des TED/TSA. Notre explication est la suivante, la disparition des psychoses infantiles indique une orientation purement organiciste effaçant la séparation neurologie psychiatrie ; il s'agit de résorber la psychiatrie dans la neurologie, de dénier toute existence à la réalité psychique dans un esprit réductionniste, de dénier toute valeur à la psychopathologie même dans une orientation pluri-déterministe de l'étiologie. La psychose incarne qu'on le veuille ou non la "folie" chez l'homme que Henry Ey et Jacques Lacan chacun à leur manière ont relié à la liberté. Avec la disparition des psychoses infantiles nous soupçonnons un fantasme de "faire disparaître" la folie mais cela fera l'objet d'un autre article.

Il convient de réaliser sans emphase que nous sommes alors et peut-être à l'insu des protagonistes en face d'une entreprise à tendance totalitaire car quand on veut faire disparaître la folie on veut faire disparaître aussi la liberté. La réaction doit être adaptée et vigoureuse contre cette pensée unique.

Un certain nombre d'actions s'imposent aujourd'hui

Par exemple en ce qui concerne les classifications des maladies mentales obtenir de la Haute Autorité de Santé (HAS) le droit à la pluralité des références en matière de classifications car la HAS elle même ne retient que les travaux des cinq dernières années prenant exclusivement le DSM ou la CIM comme référence d'où un fonctionnement circulaire.

Demander que la HAS valide la CFTMEA, ce qu'elle refuse jusqu'à présent sous le prétexte qu'elle ne fait pas consensus mais le consensus ne témoigne pas d'une vérité scientifique, pendant longtemps il y avait consensus sur le fait que la terre était plate... cette validation faciliterait l'enseignement de la prise en charge pluridisciplinaire et intégrative de l'autisme.

Elaborer à l'exemple de la CFTMEA une Classification Française des Troubles et maladies Mentales de l'Adulte ( CFTMA) opposable au DSM.

C'est ce à quoi s'emploient les cliniciens regroupés autour d'une Initiative pour une Clinique du Sujet.

Patrick Landman

 Références bibliographiques

* EY/LACAN Monique Charles ed : L'Harmattan 2004

*"Autisme le gène introuvable "Bertrand Jordan 2012

*"L'autiste, son double et ses objets" sous la direction de Jean Claude Maleval PUF 2009

- Article de Gwénola Druel-Salmane : "L'autisme infantile Précoce de L.Kanner de la clinique à la structure"

*"L'évaluation des psychothérapies et de la psychanalyse" sous la direction de Georges Fischman ed : Masson 2009 :

- Article de G. Fischman : "Fondements épistémologiques et modèles de validation

- Article de F .Advenier : " Quels liens entre le raisonnement pratique et la théorie? Le cas de la Psychanalyse

- Article d'E. Laurent : " Impasses de l'évaluation".

*L'homme selon le DSM Maurice Corcos ed :Albin Michel 2011

* "Le langage hors-propos et métaphorique dans l'autisme infantile " Léo Kanner in Revue Psychologie Clinique No 14 2002 ed : L'harmattan

*" Analyse d'énoncés d'enfants autistes à partir de la psychanalyse, quelle ouverture pour une énonciation" M. Grollier, l'Evolution Psychiatrique

Volume 72, 2007

*Problèmes nosographiques posés par la psychose de l'enfant Roger Misès Psychiatrie de l'enfant,11 1968

*"Relier les champs de la psychopathologie et du handicap chez l'enfant et l'adolescent "Roger Misès 2011

*"Psychiatres et Psychanalystes d'aujourd'hui" Julien Daniel Guelfi Topique No 8, 2004

* Exilés de l'intime. La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique R.Gori et Del Vogo M.J. 2008 Denoë

* Histoire de l'Autisme Jacques Hochmann ed : Odile Jacob 2009

* La cause Freudienne No 66 ed: Navarin 2007:

- Article de Jacques Alain Miller : " La matrice du traitement de l'enfant au loup"

- Article de Jean Claude Maleval : "Plutôt verbeux les autistes"

* Psychanalyse et autisme : la polémique, Elisabeth Roudinesco ,

* Manifeste "Pour en finir avec le carcan du DSM" ed : Erès 2011

* DVD : Autisme et Psychoses une nosographie à revisiter ,discussion entre Roger Mises et Nicolas Georgieff

* Annales Médico-Psychologiques 168 ,(2010) : Le CIM et Le DSM ou l'impossible validation pourquoi le ver est dans le fruit, J.R. Foucher, V. Bennouna Greene, ed : Elsevier Masson

* Psychodynamic Psychotherapy Research Raymond Levy et J. Stuart Ablon ed : Humana Press 2012

* DSM IV-TR ed : Masson 2003 Traduction coordonnée par Julien Daniel Guelfi et Marc Antoine Croc

* CIM-10 / ICD-10 ed Masson 1994

* CFTMEA 3è édition CTNERHI 2000

2012/01/30   Psychanalyse et autisme : la polémique

Elisabeth Roudinesco



Depuis des décennies, la question de la définition et du traitement de l'autisme - déclarée grande cause nationale pour l'année 2012 - est devenue l'enjeu d'une bataille juridico-politique, avec insultes et procès, au point qu'on se demande comment des parents, des thérapeutes (pédiatres, psychiatres, psychanalystes), des députés et des chercheurs ont pu en arriver à ce point de détestation réciproque.

Violemment hostile à Freud, à la psychanalyse et à ses héritiers, la cinéaste Sophie Robert, soutenue par les auteurs du Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes, 2005), a été conspuée après avoir filmé, dans un documentaire que l'on a pu regarder sur internet pendant des semaines, des thérapeutes connus pour leur adhésion à une psychologie oedipienne de comptoir. Selon eux, les mères seraient responsables des troubles psychiques de leurs enfants, y compris l'autisme, maladie aux multiples visages. Ces représentants du discours psychanalytique se réclament de Sigmund Freud, de Donald W. Winnicott, de Jacques Lacan ou de Melanie Klein en oubliant une règle élémentaire : les concepts ne doivent jamais se transformer en jugements à l'emporte pièce ou en diagnostics foudroyants. Un concept n'aboie pas.

     Il n'est question dans ce film que de mères "crocodiles", "froides", "dépressives" ou incapables «d'expulser de leur corps le rejeton qu'elles n'auraient jamais désiré». Pour les avoir ridiculisés en montant des séquences à charge, Sophie Robert a été poursuivie devant les tribunaux par trois d'entre eux qui ont obtenu que les passages les concernant soient retirés du film (jugement rendu par le tribunal de Lille, le 26 janvier 2012). Elle a aussitôt interjeté appel de cette décision de justice qui ne change rien au problème de fond, puisque la vulgate de la "mère pathogène" et de la loi nécessaire "du père séparateur" est bel et bien présente dans le discours psychanalytique contemporain. Et c'est en son nom qu'une partie de la communauté psychanalytique française est entrée en guerre en 1999 contre les homosexuels désireux d'adopter des enfants tout en s'opposant, du même coup, aux nouvelles pratiques de procréation assistée, et plus récemment encore à la gestation pour autrui (GPA, "mères porteuses"). Ce discours, fondé sur la naturalisation de la famille et de la différence des sexes, a été critiqué par les féministes, les sociologues, les anthropologues, les philosophes et les historiens de la famille : notamment Elisabeth Badinter.

     Méconnaissant l'évolution des moeurs et les progrès de la science, voilà que ces praticiens - qui ne représentent en rien l'ensemble des cliniciens d'orientation psychanalytique - sont à leur tour interpelés par la loi en la personne d'un député UMP du Pas-de-Calais, Daniel Fasquelle, président du groupe d'études parlementaires sur l'autisme, qui s'apprête à déposer devant le Parlement une proposition de loi visant à abolir toute approche psychanalytique dans l'accompagnement des enfants autistes.

     Que s'est-il donc passé en France pour qu'un élu de la République en vienne à croire qu'une question scientifique puisse être résolue par des poursuites judiciaires? Après les lois mémorielles restreignant la liberté de penser des historiens, verra-t-on des juges pourfendre la doctrine freudienne devant des tribunaux?

     C'est en 1907 que le psychiatre suisse Eugen Bleuler invente le terme d'autisme, à partir de celui d'auto-érotisme, pour désigner un repli sur soi de nature psychotique (folie) et une absence de tout contact pouvant aller jusqu'au mutisme. En 1943, le pédiatre autrichien Leo Kanner transforme l'approche en sortant l'autisme infantile précoce du domaine des psychoses. Il émigrera aux Etats-Unis et poursuivra ses travaux. Mais, en 1944, un autre pédiatre viennois, Hans Asperger, qui avait lui-même été atteint dans son enfance, décrit "l'autisme de haut niveau", caractérisé par une absence d'altération du langage et une capacité de mémorisation inhabituelle. En témoigne l'inoubliable Raymond Babbit, interprété par Dustin Hoffman dans Rain Man, le film de Barry Lewinson (1988). Aujourd'hui, et dans cette perspective, l'autisme est considéré comme une maladie organique dont l'une des causes serait une perturbation des circuits neuronaux au cours de la vie foetale.

     De son côté, Bruno Bettelheim, psychanalyste autrichien, déporté à Dachau puis à Buchenwald, inventa un traitement spécifique de l'autisme en devenant, en 1944, le directeur de l'Ecole orthogénique de Chicago. Comparant cet état à une situation extrême, semblable à l'enfermement concentrationnaire, et favorisé par le désir destructeur des mères, il sera accusé à tort, après sa mort, d'avoir fait de son école un goulag. A vrai dire, il ne mérite aujourd'hui ni légende dorée, ni légende noire. D'autant que l'approche psychanalytique des enfants autistes et psychotiques eut pour effet, sur cette lancée - de Margaret Mahler à Frances Tustin, puis de Françoise Dolto à Jenny Aubry ou Maud Mannoni - de les extirper d'un destin asilaire.

     Dans un livre magistral, L'enfant qui s'est arrêté au seuil du langage (Aubier, 2008, Le Monde du 18 avril 2008), Henri Rey-Flaud, psychanalyste et professeur émérite à l'Université de Montpellier, a fort bien décrit, à partir d'une sérieuse étude de cas, mais aussi en s'appuyant sur des récits publiés par les autistes de haut niveau - Temple Grandin, par exemple - le monde particulier des enfants autistes, un monde de souffrance, de silence et de rituels insolites. Ces enfants, - environ quatre sur mille et en majorité des garçons - s'expriment avec des gestes et des cris. Ils sont parfois violents, ils ont l'air d'accomplir des tâches incohérentes et ont donc besoin d'être pris en charge en permanence par leurs parents et par des équipes de thérapeutes et d'éducateurs qui les font

     On aurait pu rêver, comme le laisse entendre cette description, à une possible entente entre familles et thérapeutes. D'autant qu'à partir des années 1980, on identifia des autismes et non plus une entité unique : celui des enfants mutiques, celui des petits génies surdoués, celui enfin des enfants qui peuvent parler, tout en adoptant des attitudes énigmatiques. Une approche multiple, la meilleure à ce jour, semblait s'imposer : psychothérapie psychanalytique, technique éducative et, dans des cas graves d'auto-mutilation, Packing, enveloppement de l'enfant dans des linges mouillés.

     Il n'en fut rien puisque l'alliance s'était déjà en partie rompue du fait de l'évolution de la psychiatrie mondiale vers une classification exclusivement comportementale et biologique (le fameux Manuel Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM), d'où est désormais évacuée l'idée de subjectivité. Aussi bien cette classification fait-elle entrer l'autisme dans la catégorie d'un trouble envahissant du développement (TED) tellement élargi qu'un enfant sur cent cinquante en serait atteint. Cette progression a été dénoncée en 2006 par le biologiste Jean-Claude Ameisen dans un excellent rapport destiné à l'Inserm (que l'on trouve sur internet) qui montre qu'après avoir rangé l'autisme dans les psychoses, on intègre désormais tous les troubles infantiles graves dans un vaste ensemble biologico-génético-neurologique aux contours cliniques flous.

     A l'évidence, cette évolution est liée au changement des critères diagnostiques beaucoup plus qu'à une "épidémie", ce qui, dans le contexte d'un rejet idéologique du freudisme, a été catastrophique pour l'approche psychanalytique de l'autisme. Lassés d'être interrogés sur leur statut de bon ou de mauvais géniteur, les parents se sont tournés vers des techniques de conditionnement visant à démutiser l'enfant. Aussi bien celui-ci est-il "récompensé" à chaque progrès et "puni" par une sanction à chaque recul.

     Mais il n'est pas certain qu'une telle approche soit la panacée même si elle s'est imposée dans le monde anglophone. Car si l'on considère l'autisme comme un trouble neurologique, détaché de tout environnement, on risque d'oublier de traiter les souffrances psychiques des parents et des enfants, de dresser les familles contre Freud - lequel n'a jamais parlé d'autisme - et de laisser croire que la maladie serait également génétique, ce qui n'a pas été prouvé. En juillet 2005, la société InteraGen a d'ailleurs donné un faux espoir aux familles en prétendant lancer sur le marché un test génétique de diagnostic précoce de l'autisme, escroquerie dénoncée par les généticiens sérieux (Bertrand Jordan, Autisme. Le gène introuvable. De la science au business, Seuil, 2012). Récemment, un neurobiologiste français, François Gonon, a en outre montré que la psychiatrie biologique, fondée sur le DSM, avec ses classifications démentes, était critiquée aux Etats-Unis au moment même où elle s'impose en France ("La psychiatrie biologique : une bulle spéculative, Esprit, nov. 2011). 

     La guerre à laquelle on assiste aujourd'hui est désolante puisque des praticiens éminents, comme Pierre Delion, professeur de pédopsychiatrie de réputation mondiale (CHU de Lille), partisan d'une approche multiple et du Packing, soutenu d'ailleurs par Martine Aubry et de nombreux parents, est devenu, comme d'autres cliniciens respectables, la principale cible d'une campagne de calomnies orchestrée par les adeptes d'un antifreudisme radical.

Quant aux psychanalystes, qui reçoivent par la poste, en guise de cartes de voeux, des photographies de crocodiles, ne sont-ils pas menacés, à force de propos déplacés, de devenir les ennemis d'eux-mêmes et de leur discipline?

 Elisabeth Roudinesco (Huffington Post)


Octobre/Novembre 2011  Devenir de la psychanalyse ?

Jacqueline Rousseau-Dujardin


La question du statut de la psychanalyse

 

Partons d’un rappel sans lequel les considérations sur le devenir de la psychanalyse n’auraient pas de sens : pendant des années, la psychanalyse n’a pas eu de statut légal en France. Un certain nombre de médecins l’exerçaient. Les actes psychanalytiques qui faisaient partie de leur activité étaient considérés comme actes médicaux et remboursés comme tels par la sécurité sociale  Si des psychologues, des philosophes ou autres voulaient pratiquer la psychanalyse, ils pouvaient avoir un statut légal après une formation de psychologie, mais sans que les actes psychanalytiques pratiqués avec leurs patients soient reconnus comme tels par la SS. Inégalité et injustice (fondée sur l’ancrage réputé médical de la psychanalyse) contre lesquelles on comprend que les non médecins se soient insurgés. En outre, contradiction avec l’article bien connu de Freud (1926) sur la ”psychanalyse laïque” protestant contre le fait que seuls des médecins puissent  exercer la psychanalyse.

     Après des années de discussions, voire de disputes, l’affaire semble aujourd’hui  réglée : la psychanalyse est aux yeux de l’Etat français une psychothérapie parmi d’autres, en admettant qu’elle soit différente des autres. Mais en somme, chacune se réclame de sa différence. Donc, de ce point de vue, elle est comme les autres.

     C’est ce « comme » -là qui fait problème ; pour certains, ceux qui ont travaillé à la mise en place d’un dispositif légal, il règle  les difficultés liées à la non réglementation de la psychanalyse, à l’absence d’un statut légal,  à sa prétention d’échapper au contrôle de l’Etat : on pense réduire ainsi le danger auquel les éventuels « charlatans » peuvent soumettre, par leur louche exercice, un  public que rien ne permet d’en protéger. Objectif sécuritaire  accordé au ton général de la société actuelle et, il faut bien le dire, compréhensible par des abus dont il ne semble pas pourtant que de nombreux cas se soient fait connaître.

     Pour d’autres, dont je suis, il existe une spécificité psychanalytique qui empêche d’assimiler cette discipline à une autre psychothérapie (cela ne préjuge en rien de la  valeur de telle ou telle), bien que, et c’est fort important, la différence soit difficile à exposer ; bien que, et là est peut-être un obstacle infranchissable, on ne puisse l’éprouver qu’en ayant soi-même été en analyse, pratiqué l’analyse ; mais aussi, bien que les exigences de la pratique de la psychanalyse soient telles  – pour le patient autant que pour l’analyste – que, d’une part, les psychanalystes  éprouvent parfois la tentation d’orienter la cure vers la psychothérapie, d’autre part que le patient tende lui-même vers une version plus légère de sa mise en jeu. Je crois, pour ma part, que, si les dispositions légales prises récemment pour réglementer l’exercice de la psychanalyse peuvent concourir à son extinction progressive – raison pour laquelle je me suis ralliée aux mouvements de protestation qu’elles ont soulevés – elle est travaillée depuis qu’elle existe par des forces puissantes qui, chez les psychanalystes eux-mêmes et de façon plus ou moins consciente, protestent contre ce que la situation psychanalytique leur prescrit.

     Ajoutons aux difficultés qui rendent actuellement la place de la psychanalyse plus précaire la vague cognitiviste avec son corollaire, les thérapies comportementales, accompagnées ou non de médications censées régler, chez les enfants par exemple, certains désordres de l’activité.


Les débuts freudiens

 

Situation psychanalytique. C’est le terme qui me paraît le mieux convenir à ce qui s’instaure, qui devrait s’instaurer entre un psychanalyste et son ou sa patiente à partir du moment  où la cure est envisagée par l‘un et par l’autre. C’est-à-dire après que le patient ait exposé sa souffrance et que le psychanalyste  puisse penser que sa pratique apportera des effets positifs. Le mot « guérir », qui a déclenché des débats  infinis, ne saurait certes convenir en la matière. Mais on ne peut le condamner sans quelques précisions : guérir les troubles sexuels de ses premières patientes –  hystériques de la Vienne début vingtième siècle – était bien le but que Freud assignait à la découverte dont il poursuivait l’espoir[1], même si très vite lui apparut, sans optimisme démesuré – c’est le moins qu’on puisse dire  –  que le travail analytique n’apportait pas la guérison de symptômes comme il est courant en médecine, mais pouvait amener l’analysant à une posture plus supportable dans sa vie. A cet égard, la fin des Etudes sur l’hystérie (1895) éclaire une orientation dont  la complexité  ne cessera de retenir l’attention : après avoir comparé les effets des « psychothérapies cathartiques » qu’il pratiquait à des opérations chirurgicales telles « l’ouverture d’une cavité pleine de pus, le grattage d’une carie », « établissement plus favorable à l’évolution du processus de guérison » , Freud envisage la réponse à donner à l’objection suivante que pourrait lui faire une patiente : « ”Vous dites vous-même que mon mal est en rapport avec les circonstances de ma vie, avec mon destin. Alors comment pourrez-vous m’aider ?” J’ai alors donné la réponse suivante : ” Certes, il est hors de doute qu’il serait plus facile au destin qu’à moi-même de vous débarrasser de vos maux, mais vous pourrez vous convaincre d’une chose, c’est que vous trouverez grand avantage, en cas de réussite, à transformer votre misère hystérique en malheur banal. Avec un psychisme redevenu sain, vous serez plus capable de lutter avec ce dernier.” »[2]Pas question de guérison, donc, mais d’une modification du récit, par soi  et à soi, de sa vie, étant entendu que les effets de la cure sont portés par le discours du patient sur lequel  intervient celui du psychanalyste interprétant, l’ensemble des deux discours constituant à mon sens le discours psychanalytique. Et il est  l’agent essentiel de l’effet thérapeutique de la situation psychanalytique. Un effet limité, il est vrai à l’acceptation du malheur banal, impacts du réel appartenant à l’inéluctable, lequel n’est pas à confondre avec le destin, à moins d’y inclure les « circonstances de la vie »  en se privant de toute maîtrise les concernant. C’est justement ce que l’invention freudienne a permis d’éviter : car si elle apportait une  ”troisième  blessure narcissique” en révélant les processus inconscients, elle proposait une prise sur eux par l’interprétation.


Psychanalyse et « destin » 

  

Un embranchement, pourrait-on dire : d’un côté la chasse aux symptômes qui occupent le premier plan de la clinique et constituent l’objet de la plainte, de l’autre, la « lutte avec le destin ». En fait, Freud ne le savait pas encore précisément mais c’est bien ce deuxième chemin, laissé à la recherche de la patiente, qu’adoptera la psychanalyse, en adjoignant à celle-ci un compagnon de route, le psychanalyste ; un des éléments peut-être qui imposera à son inventeur la fréquentation assidue de la tragédie antique dont il tirera  – et Lacan après lui – ses modèles. Et qui donnera à la psychanalyse un côté tragique, souvent rapproché, s’agissant de Freud, de son « pessimisme », mais revendiqué, exploré comme tel par Lacan.

     C’est un aspect de cette discipline, la psychanalyse que je pratique depuis plusieurs décennies, qui me paraît inacceptable. J’insiste : le mot « destin », employé par Freud, est d’un poids accablant qui, si on le conserve, annule justement les effets analytiques possibles. Les « opérations thérapeutiques » se réglant, du fait de la situation psychanalytique « par surcroît », (les symptômes) comme le disait Freud, la tâche de l’analyste et de l’analysant, ensemble, est bien de désamorcer ce qui apparaît comme le destin et de réduire ce qu’il a d’inéluctable à la naissance et à la mort en allégeant et rendant malléables autant que possible les circonstances qui entourent et marquent, entravent les existences. De restituer aussi au sujet la maîtrise limitée qu’il en a, travaillant à mettre en question le fantasme de toute-puissance qui ne cesse de l’occuper et, par ce ”travail ”, de lui ouvrir l’accès à l’autre. Cela ne saurait se confondre avec un processus d’adaptation aux normes d’une société donnée. Il s’agit, au contraire, par cette restitution, de faciliter pour un sujet une liberté intérieure avec ses possibilités critiques. Ce qui en fait un citoyen, sujet politique, inacceptable par un régime dictatorial, comme on vient de le voir une fois de plus par l’arrestation récente de la psychanalyste syrienne Rafah Nached n’ayant aucune activité politique contre le pouvoir régnant. La subversion inhérente à la mise au clair des systèmes de défense par l’activité psychanalytique suffit à la caractériser comme subversive. D’où les critiques que l’on peut adresser à des points de vue sur la psychanalyse qui la voient comme déclenchant ou favorisant l’individualisme en tant que marque de l’époque contemporaine. La réflexion sur un soi qui, souffrant, ne se laisse jamais oublier, peut et doit ouvrir, au contraire, la douleur désamorcée, sur un accès à l’autre empêché jusque-là. Cela ne peut rester en dehors du politique.


Un point de vue sur la place de la sexualité en psychanalyse.


On sera peut-être surpris de constater que, dans la cure, c’est du côté de la naissance que l’acceptation de l’inéluctable – elle ne sera jamais qu’asymptotique  – est la plus difficile.  C’est oublier que la sexualité y joue un rôle évident, à moins qu’il ne soit aveuglant. Je l’ai dit, redit, écrit et réécrit : personne n’acceptera jamais d’être né de l’union sexuelle, désirante, de ceux qui sont ses parents, sans y avoir été pour rien, sans avoir eu un, son, mot à dire. L’exploration, par Freud et les psychanalystes qui l’ont suivi, avec, bien entendu, leurs patients, de ce qu’on a appelé la scène primitive, aussi riche qu’elle a pu être, bute sur cet obstacle qui n’est jamais franchi. Pour moi, c’est, avec la mort, les deux bornes du réel entre lesquelles, en analyse, pourra se jouer l’activité psychique symbolique, imaginaire, et se rapporter les réflexions tenant à ce que Freud appelait « réalité extérieure ». Ce sont aussi les blessures, les entames incomblables dans lesquelles s’engouffreront la crainte de la castration, ou l’envie du pénis, dispositif théorique mis en place  et hyperbolisé par les psychanalystes, eux-mêmes, répugnant selon moi à affronter ces terribles limites, naissance et mort.

      Impossible d’asséner cette proposition sans la déplier quelque peu, sachant qu’on pourrait y consacrer autant de travaux qu’on en a produit pour mettre en place l’édifice condamnant les hommes à la crainte de la castration, les femmes à l’envie du pénis, le tout centré sur une vue de la différence des sexes en accord avec les mentalités du temps freudien. C’est une des marques de l’ancrage de la psychanalyse dans l’anthropologie et l’histoire, c’est aussi une des raisons pour lesquelles ses concepts, figés dans une gangue doctrinale, doivent être réexaminés. La France a certes connu un « retour à Freud » fécond grâce à Lacan qui, sans doute, a préservé une spécificité psychanalytique disparue ailleurs. Mais l’omniprésence, chez lui et ceux qui s’y réfèrent,  de ” la castration ” – même avec la conception qu’il en a – signe une fidélité à une vue de la sexualité qui ne peut se maintenir, qui pourrait d’ailleurs être abandonnée. Une phrase du livre de Conrad Stein, Le monde du rêve, le monde des enfants, qui vient d’être édité[3] le met en évidence : […] le deuil à faire en psychanalyse est celui d’un être qui ne saurait avoir d’existence réelle[4], deuil  auquel un sujet advient dans l’accession au symbolique (Ce qui est en question n’est autre chose que ce que Lacan a nommé ” la castration ”, à ne pas confondre avec le complexe de castration.) » Je pourrais, quant à moi, situer la marche de l’analyse comme un travail sur le fantasme de toute-puissance lequel, bien entendu, inclut le fantasme d’auto-engendrement, avec refus de l’union des parents, par où il rejoint la sexualité et ses avanies, dont la crainte de castration ou l’envie du pénis. Ce n’est pas là négliger le symptôme ou les symptômes et la souffrance qui s’y attache mais suivre le chemin qui permettra d’en éclairer les fixations dans le récit de soi.


Dynamique de la cure. Le transfert et ses pièges. 

 

Je fais état ici d’une position personnelle sur la psychanalyse. D’autres pourront exprimer autrement la marche de la cure, la façon dont ils la voient se dérouler, mettront en place des articulations théoriques différentes. Les trajets envisagés n’en témoigneront pas moins de la nécessité  de repères dont certains, marqués par Freud, sont toujours valables : le transfert tout d’abord, sans lequel l’analyse ne saurait se dérouler. Amour en déplacement, en déplacements aussi car il peut revêtir le psychanalyste de rôles différents pour les besoins des causes venant tour à tour sur la scène des séances. Amour qui ne saurait être payé de retour comme on l’espère de l’amour habituel, ce qui instaure une asymétrie fondamentale dans la situation psychanalytique, et que le contre-transfert ne peut compenser, même si, bien entendu, le ”contre” en question n’implique pas d’hostilité.

     Si Freud a perçu très vite le transfert et certains des pièges qu’il tendait aux psychanalystes, il n’a pas manqué d’y tomber lui-même – comme on le lui a reproché  et on le lui reproche  encore[5] – sans mesurer toute l’étrangeté du phénomène qu’il avait découvert et qu’il faudrait des années à lui et à ses successeurs pour explorer. Non que des ”transferts” n’existent pas dans la vie courante. Mais que le transfert soit repéré et instauré comme le pivot autour duquel tournera la cure, dénié qu’il soit par le, la patient(e) ou utilisé comme moyen de séduction, cela exige du psychanalyste une vigilance qui reconnaisse et maintienne la nécessité de l’asymétrie dont je parlais plus haut.  Que certains, beaucoup peut-être s’y soient fait prendre où s’y laissent prendre en connaissance de cause, c’est évident. Oui, c’est critiquable, c’est un aspect par lequel  la psychanalyse présente des dangers et le problème se pose constamment de les voir venir, de les détecter en fonction des épisodes de la cure.

     Freud avait proposé, pour y parer, une attitude du psychanalyste qui préserve autant que possible de cet écueil : la neutralité bienveillante, notion qui paraît à l’heure actuelle démodée, non reprise, que je sache, par Lacan occupé à établir une éthique de la psychanalyse qui passe par le tragique, ou éclipsée par des travaux portant sur les traumatismes, individuels ou collectifs, dont beaucoup mettent l’accent sur la sympathie avec le patient-victime.  Comme si la ”neutralité bienveillante ” était à confondre avec l’indifférence, excluait l’accueil, l’écoute d’une parole à laquelle on offre de se délivrer de ses enfermements conflictuels en explorant, justement, le conflit.  Son rôle n’est évidemment pas d’exclure l’empathie ; mais d’éviter le jugement, y compris positif, qui ne peut avoir qu’un effet de fixation des conflits internes ; de refuser la connivence, de ne pas permettre qu’elle s’établisse, aussi tentante qu’elle soit quand les intérêts culturels du patient, par exemple, sont en rapport avec ceux du psychanalyste, bien plus encore s’il jouit d’un certain prestige qui pourrait se refléter sur ce dernier. Mais aussi lorsque le patient, dans un désir tout à fait compréhensible de franchir les limites de la séance tend à instaurer une ”conversation”  dont la banalité annulerait ce qu’a d’exceptionnel l’échange analytique : la non-réponse à des demandes usuelles, en maintenant le cap sur la demande qui a motivé la cure. Très difficile, cette non réponse ; essentielle pourtant si l’on veut que s’établisse et se maintienne la situation psychanalytique. Répugnance à l’incivilité, crainte de perdre, rebuté par l’étrangeté de cette asymétrie le patient non encore habitué, minimisation des enjeux lourds de situations en effet minuscules, tous les arguments sont bons – ou apparaissent ainsi dans l’instant – pour franchir le pas … et répondre. Et d’autant plus que les temps sont durs pour certains praticiens ; que, même si la venue sur le divan est plus fréquente que les attaques répétées contre la psychanalyse ne le laisseraient croire, elle est inégale et semble favoriser, en fait de divans, ceux qui ne prennent pas tant de précautions pour préserver  ce qu’on a appelé d’un terme qui, lui aussi a vieilli, le cadre.

     Dommage, grand dommage. C’est lui qui permettait, qui permet encore le déroulement de l’analyse comme le montre, par exemple, le  livre de Serge Viderman, La construction de l’espace analytique, espace inaccessible dans la vie courante. Lui, qui, si l’on veut bien s’y référer, préserve des « petits arrangements », moins frustrants, certes, pour l’un et pour l’autre partenaires qu’une rigueur de mauvaise réputation, mais ruinent l’espace qui doit rester ouvert aux projections du patient autant qu’il est possible, étant entendu que certains déterminants de la réalité de l’analyste ne peuvent être évités, de sa personne physique à ce qui constitue son entourage, à verser au compte de l’inéluctable réel.


Psychanalyse et thérapie

 

Cela dit, je ne pense pas que l’on puisse évacuer toute notion de thérapeutique de la psychanalyse, comme on s’est appliqué à le théoriser, en particulier parfois, fustigeant le  ”désir du psychanalyste ”de  ”soigner” ou de venir en aide, désir qui, certes, doit s’analyser mais sous bien d’autres formes aussi, ne serait-ce que quant à la durée des séances et à leur ”scansion”.  Et, encore une fois, cette composante thérapeutique n’a rien à voir avec une visée d’adaptation sociale ou une pédagogie. Il est question de ne pas refuser que contribuer à alléger une souffrance comporte une visée thérapeutique.

     Mais, bien sûr, ce terme de ”thérapie” qui rapproche la psychanalyse de la psychothérapie peut introduire la confusion, laquelle n’est pas toujours facile à éviter, ne serait-ce que parce que certaines  psychothérapies évoluent vers la psychanalyse alors que certaines psychanalyses tournent en psychothérapies. Différents facteurs peuvent intervenir, dont l’un, qui me semble indispensable pour que le processus psychanalytique puisse se dérouler : l’acceptation par le patient que sa parole aille parfois au-delà de son vouloir dire et dévoile ainsi certains aspects de lui  – ou des siens – qui lui étaient inconnus. Surprises qui exigent, entre autres conditions, pour que l’effet interprétatif (et auto interprétatif) se produisent, que le patient soit suffisamment assuré de son langage pour supporter sans trop d’angoisse qu’il puisse lui échapper, creusant en lui des abîmes inconscients menaçant sa maîtrise. C’est du reste la raison pour laquelle la psychanalyse comme telle, la ”cure type”, si on veut respecter sa pratique, ne s’adresse qu’à une faible partie de la population. Une idée qui fâche, certes et qui peut paraître en contradiction avec l’aspect politique de la psychanalyse signalé plus haut, révoltante en ce que l’accession à la liberté critique dont il était question ne serait accessible qu’à une minorité. A répondre : certains, sans nul doute, n’ont pas besoin de psychanalyse pour y parvenir. Et il existe, pour ce faire, d’autres moyens. La psychanalyse n’est pas la panacée.


Psychanalyse et psychothérapie, de nouveau

 

On le voit, il est donc improbable qu’un psychanalyste reconnu et qui se reconnaît comme tel n’ait que des patients en psychanalyse. Sans compter que, s’il les retrouve pour des ”tranches” après une première cure, le dispositif analytique classique ne conviendra peut-être pas. Et que ce dispositif s’est modifié depuis Freud, moins exigeant, en particulier quant au temps et au nombre des séances, passant d’une heure par jour cinq fois par semaine à trois quarts d’heure, une demi-heure, parfois moins, deux fois par semaine… Dans ces conditions, on comprend qu’une distinction tranchée entre psychanalyse et psychothérapie soit difficile. Mais il faut admettre qu’un psychanalyste peut adopter parfois la « posture » psychothérapique alors que l’inverse n’est pas vrai.


La psychanalyse, qui demande un cadre, ne supporte pas la réglementation.


Car un critère garde son importance, je l’ai déjà affirmé : ne peut se dire psychanalyste que celui qui a ”fait” une analyse personnelle. Or, c’est un critère invérifiable, même si les associations de psychanalystes se sont appliquées à  édifier différents appareils destinés à garantir l’existence et la qualité de la cure. Les cursus imaginés, non sans mérites plus ou moins évidents, se sont révélés plus ou moins défectueux, pour elle plus qu’en d’autres disciplines, il faut le reconnaître, impropres justement à toute garantie, ceci pour une raison épistémologique : la psychanalyse n’est pas une science, malgré ce que Freud ou Lacan ont pu s’efforcer d’affirmer. C’est une pratique, un art si l’on veut, pratique à deux, qui supporte mal l’intervention d’un tiers (contrôleur, passeur) ; et certainement pas celle d’un délégué de l’Etat vérifiant le nombre des séances, la durée de la cure, exigeant des rapports, etc. Un tel rejet peut paraître revendiquer cette toute-puissance que je mettais en cause plus haut par le statut d’exception qu’il requiert. Il est vrai que la situation psychanalytique est exceptionnelle, irremplaçable, – il est important de le dire par les temps qui courent – précieuse du fait de cette exception même. Il est vrai aussi que les notions psychanalytiques, les travaux théoriques qui les ont développées, ont largement imprégné les sciences humaines et la culture générale, débordant du cabinet des psychanalystes. Et même si leur validité est actuellement contestée.



 De là quelques conséquences. 

 

Ces notions, travaillées, revues et corrigées parfois, constituent des outils de travail précieux et peuvent être utilisées dans des institutions de soin, milieux psychiatriques et éducatifs pour adultes, pour enfants, accessibles au grand nombre, moyens psychothérapiques à proprement parler. L’analyse personnelle, si elle peut être souhaitable, n’est pas indispensable aux médecins, psychologues, éducateurs, d’autant plus que les contraintes de l’institution ne permettent que rarement d’y pratiquer des psychanalyses, mais bien des psychothérapies. Dans les ”cellules de crise”, par exemple, si souvent médiatisées, ce sont des psychothérapies que l’on fait, des psychothérapies courtes le plus souvent, axées sur le symptôme. De fait, les soignants, analysés ou non, s’inspirent dans leur travail d’une psycho pathologie qui n’ignore pas la psychanalyse : mais ils ne la pratiquent guère sur place, non sans avoir, pour certains d’entre eux, des patients en exercice privé. Ils sont donc à la fois mais pas en même temps, psychothérapeutes et psychanalystes.

     L’introduction de la psychanalyse à l’université n’a pas simplifié les choses. Elle est sans rapport avec la psychanalyse personnelle, mais délivre des titres universitaires (master en psychanalyse entre autres), non sans enregistrer la qualité de psychanalyste sur la foi de l’appartenance du postulant à une société de psychanalyse dispensé dans ce cas d’une formation en psycho pathologie. A noter : la diminution du nombre d’enseignants de la psychanalyse à l’Université au profit, en particulier, des cognitivistes.

    En fait, depuis 2009/2010, il existe un registre national des psychothérapeutes qui concerne aussi les psychanalystes, la psychanalyse faisant partie des psychothérapies. On voit comment certaines associations de psychanalyse ont accepté de voisiner avec la psychothérapie pour survivre à la réglementation par l’Etat, tout en s’alliant à l’Université, dispositif où l’Etat joue – encore – un rôle. On peut prévoir les conflits qui ne manqueront pas de survenir entre associations  dont la rivalité tumultueuse, rythmant l’histoire psychanalytique, ne manquera pas de se poursuivre. L’idée d’un ”Ordre des psychanalystes” avait, un moment émis l’hypothèse d’une régulation concernant des différentes sociétés existantes. Outre un parfum qui rappelait l’époque vichyste à laquelle différents ”Ordres” ont pris naissance, la difficulté du travail d’unification qui lui incomberait a effacé le projet.

    Etant donné ce dispositif légal compliqué, actuellement mis en œuvre et dont il n’est pas possible encore d’évaluer les effets, on ne peut que constater que certains de ceux qui s’appellent psychanalystes ne s’y reconnaissent pas et pratiquent  hors légalité, ou plutôt selon une légalité qui contourne celle que promeuvent  la loi  et le décret de 2009/2010. Non inscrits sur le fameux registre, ils ont souvent eu recours à la psychanalyse pour des raisons personnelles et non d’emblée avec des projets didactiques, plus fréquents autrefois. Ils ont fait une analyse le plus souvent sans prise en charge par la sécurité sociale, exerçant une activité professionnelle qui leur permettait de payer leur cure. Leur intérêt pour la pratique psychanalytique s’est peu à peu développé au cours de cette cure et le désir, la possibilité de devenir psychanalyste se sont affirmés. Soit qu’ils aient un poste d’enseignants, dépendants alors de l’Université, soit qu’ils travaillent dans un tout autre milieu en fréquentant divers groupes psychanalytiques, en y acquérant une formation, ils s’installent comme ”micro entrepreneurs”, ou, par exemple en créant une ”auto entreprise, activité de santé humaine non classée ailleurs ”, non sans conserver, en tout cas pour un temps, leur activité salariée. Il est évident que, dans ce cas, la sécurité sociale n’est pas en jeu et que la psychanalyse est entièrement prise en charge par les patients. Et que  la pratique psychanalytique se trouve ainsi rapprochée de professions comme celle de voyante ou de radiesthésiste qu’on n’admet guère dans les ”sciences humaines”, rapprochement qui passait, il y a quelque temps encore pour être au moins de mauvais goût.[6]

     Qu’en penser ? Que cela met l’accent sur le côté non thérapeutique de la psychanalyse (encore que parmi les patients concernés, certains demanderont et feront des psychothérapies), non médical en tout cas,  pas toujours psychiatrique. A considérer : les praticiens en question auront-ils l’opportunité et éprouveront-ils le besoin d’un travail conjugué avec un soin médical dans des cas lourds qu’ils ne sont pas formés pour accueillir ? Ce risque-là est-il important ? A vrai dire, il existe depuis toujours, étant donné que le statut de psychanalyste n’existait pas. Et que n’importe qui pouvait se prévaloir du nom. Ce n’est pas cela qui semble déclencher  les diverses attaques actuelles de la psychanalyse, quelle que soit sa « garantie » institutionnelle. D’autre part, il faut accepter la bonne foi de ces praticiens dans l’appréciation qu’ils ont des effets de leur psychanalyse personnelle, suffisants à leurs yeux pour devenir des transmetteurs. Risqué, certes, mais la vérité oblige à dire que l’observation des psychanalystes dûment acceptés par des associations de psychanalyse – du moins pour quelqu’un qui les connaît depuis plusieurs décennies – ne porte pas, dans nombre de cas, à estimer qu’ils constituent des sociétés de sages. Ce qui n’implique pas qu’ils soient de mauvais psychanalystes.

     Donc, il semble que l’on ait le choix entre l’observance d’un statut où le contrôle de l’Etat risque, compte tenu des conditions sociopolitiques actuelles, d’être de plus en plus lourd et, de ce fait, destructeur, et une attitude qui reviendrait à ”prendre le maquis” par rapport aux structures professionnelles qui encadrent actuellement la psychanalyse, lesquelles ont accepté le statut en question ; prendre le maquis sans pour autant, tomber dans l’illégalité. Dans quelles conditions la psychanalyse, pour peu qu’on la considère comme importante et, je l’ai déjà dit, irremplaçable, aurait-elle le plus de chances de ne pas s’altérer jusqu’à sa disparition ? Un facteur me paraît de ce point de vue important : c’est que, dans la deuxième hypothèse, la prise en charge  personnelle de l’investissement dans la cure est le choix du patient. Pas d’intervention de l’Etat dans le paiement de la cure. Cela exige, certes, des aménagements  quant aux honoraires que peuvent percevoir les analystes… et les délogerait sans doute de leur place de « plus pauvres des riches », comme disait un de mes amis. Serait-ce un mal ?

     En guise de conclusion, la citation du texte d’un psychanalyste, responsable d’une des associations françaises ayant pignon sur rue, à propos des « attestations » que les dites sociétés doivent fournir, moyennant certaines conditions, bien entendu, aux postulants désirant être inscrits au fameux registre des psychothérapies et… ouvrant la voie à la pratique de la psychanalyse. Après avoir marqué qu’il s’agissait de trouver des dispositions  qui maintiendraient « une indépendance de la psychanalyse, menacée d’intégration dans l’ensemble des psychothérapies tout en évitant en même temps la marginalisation de notre discipline et son exclusion du champ général du soin » , l’auteur constate : « C’est là la rançon que nous avons dû payer et il est à craindre que tout ceci ne soit que le début d’une assimilation idéologique de plus grande ampleur. »[7]

     Certes, méfions-nous de la dramatisation et, surtout, des amalgames. Mais tout de même, cela rappelle des souvenirs.


Jacqueline Rousseau-Dujardin.

Octobre-novembre 2011



[1] Ce rappel, à lui seul, montre la nécessité de considérer la psychanalyse dans son contexte historique, et non comme une révélation faite à Freud et que rien ne devrait modifier.

[2] Sigmund Freud, Joseph Breuer, Etudes sur l’hystérie, Paris, PUF, 1994, p.247

[3] Conrad Stein, Le monde du rêve, le monde des enfants, Paris, Aubier, 2011, p. 417

[4] Je précise : celui qui prolongerait « His Majesty the baby »

[5] Curieux que, vu l’acharnement dont il est l’objet actuellement, on ne l’ait pas accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec ses patientes…

[6] On peut supposer que se constitueraient des groupes de psychanalystes, non inscrits dans le registre des psychothérapies, où le travail sur la psychanalyse et les disciplines affines se ferait sans délivrer d’habilitation

[7] Gérard Bazalgette, Bulletin d’information du quatrième groupe, automne 2011, n°51, p.8